28 avril 2007

Dualité à Troie

L’élimination de dix candidats n’a pas affadi l'inattendue effervescence. L’affectif Bayrou a réussi, avec l’ardent soutien de la caisse de résonance médiatique, à capter une bonne part des feux de la rampe d’entre deux tours. Le retour de la classique bipolarisation n’a pas encore émergé, ce qui aurait effacé, par la même, le coup de tonnerre d’il y a cinq ans. Après l’extrême droite qui a imposé la mobilisation des UMP, PS and Co pour le même candidat, le centre révolutionne le second tour, obligeant chacun des deux prétendants à l’intégrer à sa stratégie de conquête d’un électorat élargi.


Pour Nicolas Sarkozy, la volonté affichée de passer par-dessus les bouclettes de François Bayrou pour redynamiser le vote pavlovien de ses électeurs historiques. Ses coulisses, elles, grondent du « débauchage » frénétique des élus UDF inquiets pour leur devenir politique. Bien sûr, ces ralliements opportunistes répondent à des convictions indubitables…
La posture de Bayrou exhale un petit quelque chose de plus digne que les déserteurs de la dernière heure, même si, là aussi, l'ambition personnelle explique ses coups de billard à trois bandes.

Avec Ségolène Royal, l’art du retournement élocutoire vit des heures glorieuses. L’« imposteur », meneur de cette révolution centriste, s’est transmué en fréquentable allié potentiel. Le T.S.S., dont se sont rengorgés à la va-vite les LCR, LO et autre Bové ratiboisés, doit avoir aujourd’hui l’infect goût de la compromission à la sauce centriste…
Passionnante campagne qui éclaire la valeur de chacun empêtré entre ses convictions et les nécessités du jeu démocratique.

Le grand débat final du 2 mai ne fera pas oublier l’urticante petite finale du 28 avril sur BFM TV. Pour résumer le double objectif du français François : démontrer que de forts points de convergence existent avec Madame Royal pour rendre incontournable la nouvelle place de Bayrou comme leader, de fait, d’une opposition au pouvoir sarkozyste. Cela suppose aussi, comme finalité consubstantielle, de ne pas renforcer la candidate pour qu’elle s’essouffle en vue du 2 mai et sa grand messe contradictoire sur écran plat. Machiavélisme naturel pour toute personnalité qui veut parvenir au pouvoir hexagonal suprême.

Les performances rhétoriques de Royal et Sarkozy penche, sans conteste, vers ce dernier, comme l’ont confirmé leur passage alterné sur les plateaux de TF1 et France 2. Ainsi, passé au crible chamalowté de Bachy et Poivre d’Arvor, dans Face à la Une, les deux candidats à la présidence ont pu laisser s’exprimer leur personnalité et exposer leurs idées sans la présence de féroces déstabilisateurs.

Le ressenti, la subjectivité laissent poindre en soi quelques impressions, au-delà des programmes respectifs. Le candidat Sarkozy révèle un plus grand enthousiasme, déroulant un discours aux intonations plus captatrices. A l’inverse, prestation d’une Royal tétanisée à la monotonie jospiniste. D’un côté, que l’on partage ou non son argumentaire, une volonté presque instinctive de convaincre, de séduire, d’aller au bout de son schéma, de l’autre, une rhétorique mécanique, sans flamme, sans saillance lumineuse…

Sans doute chacun peut avoir une équipe gouvernementale solide, compétente et prête au dépassement d’elle-même pour appliquer le programme de l’élu-e. On ne peut pourtant pas occulter que la Ve propulse à la maîtrise du pays une personne qui doit, au minimum, apparaître crédible intrinsèquement.

François Bayrou
Quel que soit le résultat, et si (divine ou dramatique ?) surprise il devait y avoir, la campagne présidentielle aura réconcilié l’électorat avec l’idée d’une utilité cardinale de la politique et que ses incarnations nouvelles ne sortent pas du même moule, sans aspérités distinctives.

Pour achever dans la nécessaire auto-critique : pas si rasante que ça cette campagne au sang neuf. Et d’épiques empoignades et rebondissements en perspective…

21 avril 2007

Il était des professions de foi...

Je viens d’achever la lecture annotée des douze professions de foi. L’impression d’un fourre-tout sur format imposé qui tente, avec plus ou moins d’efficacité, le panorama des thèmes majeurs.

La palme de l’originalité marketing revient à l’affichette de Le Pen, photographié comme le père potentiel de la nation, avec un geste convivial d’invitation du peuple français et, au verso, un texte court mis en page à la double façon d’un appel gaulliste et d’un acte officiel de mobilisation générale. Sur le fond, cela se veut un blanc-seing sollicité, au ton presque consensuel, dans la lignée stratégique des angles arrondis insufflée par sa fille. Des formules comme « rendre à chacun le bonheur » nous fait fleurer bon le monde gentil des Bisounours, tonalité que l’on retrouve dans certains élans irréalistes de l’extrême gauche. Comme ce bord politique antinomique (tant que ça ?), il revendique ce « Non » au traité dont rien n’est sorti. Enfin, les « cinq ans désastreux pour notre pays » qu’il décèle lui fait naturellement oublier le passage calamiteux de membres de son parti à la tête de municipalités.

La palme du tristounet vieillot revient à Schivardi, sans doute contraint de faire réimprimer en catastrophe une profession modifiée suite au refus judiciaire pour qu’il se présente comme le candidat « des » maires. Résultat : quatre pages en noir et blanc flanquées d’une mise en page à la sauce Journal officiel d’un triste absolu. Le fond n’enthousiasme pas plus. Obsédé par la rupture avec l’Attila-UE, il serine son message comme si la solution miracle résidait dans le rejet d’un traité pourtant adopté en France par référendum. Schivardi-Babar et son monde aberré : chez lui, « tout devient possible » en anéantissant la baraque UE, en se torchant avec ses directives, en s’asseyant sur notre signature des traités.

Le maire de Mailhac ajoute : « Il est contraire à la démocratie que le mandat du 29 mai 2005 ne soit pas respecté. Ce mandat exige clairement la rupture avec l’Union européenne ». Voilà une insulte directe à l’endroit de nos partenaires européens et une extrapolation fantasmatique de la signification du rejet référendaire. Schivardi postule une supériorité de la voix française alors que nombre d’autres nations ont adopté ce traité. La seule possibilité est de renégocier, certainement pas d’imposer. Par ailleurs, comment peut-il déduire du Non, aux sources éclectiques, la volonté populaire de sortir de l’UE ? Ce nationalisme d’extrême gauche n’a rien de meilleur à proposer que des antiennes simplistes, irréalistes et dangereuses si d’aventure nous les appliquions.

Lot des quatre autres candidats de la gauche, dite antilibérale, très encline à l’hémorragie des dépenses. Tous se targuent de cette victoire du Non qu’ils ont été bien incapables de transformer en puissance efficace pour proposer autre chose de crédible… Cette « arme pacifique », le bulletin de vote ainsi qualifié par le sursitaire Bové (lui qui est si souvent passé outre l’Etat de droit) a le goût amer, aujourd’hui, d’une neutralisation, voire d’un anéantissement.

Le sieur à moustaches appelle à « l’insurrection électorale contre le libéralisme », et après ? On adopte le modèle de la Corée du Nord pour surtout éviter les cruels capitalistes ?

Entre les dépenses exorbitantes réclamées et le peu de recettes identifiées (hormis les fameux cent milliards de bénéfices de nos fleurons français, normalement taxés, il me semble…). Les Buffet, Besancenot et Laguiller n’ont que ce fanion à agiter tels des monomaniaques dérisoires. Alors égorgeons tous les employeurs de ce pays pour livrer notre économie aux puissances étrangères puisque c’est l’acte jouissif de ces agités pseudo-révolutionnaires.

En vrac, chez Bové : une métaphore bancale (« Décolonisation des programmes scolaires »), un idéalisme jusqu’au boutiste (« partage des richesses » et « démantèlement de la bombe atomique ») et l’apologie du pire dans la IVe République (sous couvert du bâton à droite pour faire croire à une VIe) avec « la proportionnelle intégrale ».

S’appesantir sur l’un, c’est faire le tour de tous à l’extrême gauche, même si quelques signes distinctifs exacerbent la fulmination.

Ainsi, derrière la bouille joviale d’un Besancenot, on décrypte la férocité des positions : comme chez Laguiller, l’enclin à faire couler le sang de ces salauds de capitalistes. En revanche, pas une ligne contre l’économie illégale, souterraine et impitoyable de certaines cités. Là on ignore, on tolère, on excuse… Bas les masques chez le rouge cramoisi lorsqu’il laisse échapper cet antiaméricanisme obscène et dangereusement inconséquent : « Les troupes d’occupation doivent quitter l’Irak et l’Afghanistan » ! Il faudrait rappeler deux évidences à l’intégriste révolutionnaire : si l’intervention en Irak était bien illégale, celle en Afghanistan a été autorisée sans réserve par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Partir de ces pays en s’en remettant aux bonnes volontés nationales, c’est l’assurance d’une guerre civile totale suivie d’une partition de l’Irak, dramatique pour la région, et d’une reprise en main sanguinaire de l’Afghanistan par les talibans. De là à soupçonner le jeune candidat de complaisance envers les terroristes…

Dans le même registre de l’absurde, la candidate de Lutte ouvrière, première à piailler l’Internationale, souhaite « réorienter les dépenses budgétaires » et notamment celles de notre armée qui « ne sert en rien à la défense du pays », mais qui intervient, par exemple, en Afghanistan. Vive, donc, la politique de l’autruche-Laguiller qui veut nous retirer des théâtres internationaux pour enfler davantage les services publics intérieurs. Belle preuve de générosité internationaliste !

Pour le reste, la rengaine est connue et retiendra les citoyens habituels. Tout de même, lorsqu’elle évoque « le pouvoir dictatorial des possesseurs de capitaux » on aimerait l’entendre aussi sévère sur des survivances communistes qui terrorisent et affament leur peuple.

Poursuivre ce tour des incantateurs aux gibecières pleines de boucs émissaires : Marie-George Buffet paralyse la raison avec sa fumeuse stigmatisation des « privilégiés », caste (on n’est pas loin de l’accusation ethnique) qui, avec ses « 20 milliards d’Euros » peut se la couler douce « pour 1000 ans ». A ce titre, on pourrait aussi dénoncer l’hémorragie de nos dépenses publiques pour des services dont l’efficacité n’est pas toujours à la hauteur et qui ont engendré un déficit abyssal. Pour couronner la démonstration: il faudrait une confiscation pendant vingt ans de l’ensemble des bénéfices produits par les quarante plus grosses entreprises françaises pour simplement éponger les dettes passées (et sans prendre en compte celles cumulées pendant ces deux décennies). On peut donc faire dire tout et n’importe quoi à des chiffres en pratiquant l’amalgame.

Buffet oublie encore une partie de l’histoire en opposant, dans un titre : « Ecologie ou libéralisme ? » On pourrait réfléchir sur les méfaits du communisme dans ce domaine. La disparition de la mer d’Aral rappelle ainsi cruellement les exploits d’un camp prétendument généreux.

Buffet, comme ceux de son bord, n’ont pas su s’organiser derrière un seul candidat pour faire peser leurs positions. On trouve même un appel à l’éclatement de l’électorat : «Le seul vote utile au premier tour, c’est celui qui porte vos idées». La même chose pouvait s’écrire le 21 avril 2002. Quel sens éminent de l’expérience !

Enfin, elle n’omet pas d’amplifier son influence dans le rejet du traité constitutionnel, au point que son « Nous avons été des millions » résonne comme une gourmandise : les croire de la même sensibilité politique, ignorant bien vite que les Le Pen et de Villiers peuvent prétendre à leur part de ce résultat.

Villiers, justement, qui, dans un de ses titres d’accroche, oublie cette particule source, imbécilement, de railleries : «Pour la droite, le vote utile, c’est Villiers». Un parangon de la méthode Coué conforté par le raisonnement surréaliste d’un conducteur de bus : « En 2002, j’avais voté Le Pen. Cela n’a finalement rien changé. (…) En 2007, je voterai utile, je voterai Philippe de Villiers. » Et cela ne changera encore rien ! Pour le reste, avec son département en bandoulière, avec son programme à œillères et avec son anti-construction européenne, il préjuge de sa qualité à la place de Président par un syllogisme branlant : j’ai formidablement géré la Vendée, le pays a besoin d’être bien mené, je suis là pour ça. Sauf qu’un bout de France, ça n’est pas la France. Avec son raisonnement, plaçons le bon gars qui fait bien ses comptes à trois colonnes à la tête de Bercy !

Le paradoxe de cette campagne tient sûrement à la place centrale que doit/devrait occuper l’écologie et à l’infime portion de l’électorat qui semble captée par sa représentante officielle dont la hantise se résume à rester devant son corporatiste concurrent. Avec sa politique du « sans », dans son appel introductif, Dominique Voynet finit par convaincre les électeurs qu’il faudrait faire sans elle : « sans pesticides (…) sans OGM (…) sans incinérateurs (…) sans nouvelles autoroutes (…) sans nouvelles centrales nucléaires ». En lisant trop vite la fin, l’attention encore impressionnée par ce cumul, on repère un dernier souhait « sans écologistes ! » certes précédé dans la même phrase par un « On ne fera pas d’écologie ». Si ce n’est pas du nihilisme ça !

En outre, Nicolas Hulot (dont elle a fait ajouter à la va-vite son soutien en queue de peloton, derrière l’insubmersible Bougrain-Dubourg, mais sans photo) a fait intégrer son pacte écologique comme objectif des gros candidats, sauf Le Pen. On ne pouvait pas mieux torpiller une candidature écologiste.

Petite digression vers Nihous, qui a sans doute bataillé pour espérer conserver le million trois cent mille voix de son charismatique (pour les chasseurs et les pêcheurs uniquement !) prédécesseur Jean Saint-Josse. Ce « juriste de formation », comme il nous l’apprend, a laissé passer une aberration juridique. On peut lire, dans un premier chapitre sur la « vraie démocratie », qu’il faut « limiter le cumul des mandats » pour éviter « la technocratisation », mais surtout qu’il faut « obliger les parlementaires à avoir un mandat local » ! Formidable projet démocratique qui obligerait les électeurs, sans doute avec un canon de fusil de chasse sur la tempe, à élire maire ou conseiller municipal leur p… de député-technocrate. A moins qu’il envisage l’inverse : tout député qui ne décroche pas un mandat local est déchu de son mandat parlementaire. Chapeau Nihous pour cette belle évolution de notre régime.

Reste les trois crédibles, pour lesquels, plus que la teneur proche des programmes, c’est la personnalité et le lien établi avec le peuple français qui seront déterminants… Chez Royal-Sarkozy, si l’on veut jouer un peu avec leurs formules : c’est de l’ordre un peu juste chez l’une et juste de l’ordre chez l’autre ; du tout qui devient possible chez l’un et du possible en tout chez l’autre ; une « France présidente » pour l’une et le « Président d’une France » pour l’autre… Pour le reste, tout a été exploré par les médias…

Alors peut-être que la Révolution tranquille du père Bayrou serait une solution. Ce français François qui, seul, nous adresse, de sa main, son « affection ». Votons en affection, pour voir…




10 avril 2007

Du "fétide" chez les tièdes

« Fétide », la campagne électorale ! B.-H. Lévy m’a, pour une fois, ravi dans son analyse des échanges et sujets de prédilection de ce cru 2007 aux accents de piquette indigeste.

B.-H. Lévy en 2007
Sur ITV, le philosophe n’a pas manqué de rappeler l’indigne absence du sujet majeur de notre avenir : l’Union européenne. Il aurait pu mettre un candidat à part, qui lui n’a que ce thème en gueule, comme le repoussoir d’un monomaniaque : l’approximatif et grotesque Schivardi, ex-candidat autoproclamé des maires. Pour lui, la solution miracle à tous nos problèmes est de «rompre avec le traité de Maastricht» (!) pourtant ratifié, lui, par référendum français. Il se revendique fidèle à la voix du peuple quand ça l’arrange… Pour les autres, l’UE est un sujet à ne surtout pas aborder, de peur de se mettre à dos les portefaix du non au traité. Mieux, même : il faut désigner l’UE comme étant la cause de nos faiblesses. Lamentable populocratie qui fait courber l’échine à tous ces prétendants au trône. On se leurre, mais pas grave, ça servira l’ambition de l’un d’eux…

Oubliée la prospérité permise, minorée la paix maintenue. Au contraire : c’est bien sûr de la faute à la Commission européenne si notre croissance est plus faiblarde que celle de nos voisins européens, pourtant, eux aussi, assujettis à cette démoniaque institution !

Où se trouve donc le candidat ayant une posture et un courage le rendant digne de conduire la nation française ; qui osera risquer sa carrière politique au nom de ses convictions européennes ?

A. de Gobineau
Entre l’hystérie des extrêmes partisans du tout-social (avec, pourquoi pas, un Smic à 1500 euros nets jusqu’en Pologne !) ou de l’enthousiasmante (et réaliste !) rupture totale d’un côté, et le silence des Royal, Bayrou et Sarkozy, tous trois ardents défenseurs du « Oui » de l’autre, je ne peux trouver un engagement à la hauteur des enjeux de la prochaine décennie.

Et pendant ce temps, l’ex ministre de l’Intérieur nous fait du Gobineau en version simplifiée… voire simpliste ! On croit cauchemarder…