31 décembre 2006

A toi, ma grand-mère

Samedi 24 décembre
Assombrissement des festivités familiales : maman m’informe par
téléphone que grand-mère vient, une troisième fois, à 94 ans, de se casser le col du fémur. Transportée dans une clinique de Béziers, elle devra souffrir jusqu’à mardi, pour cause de Noël amorcé, avant d’être opérée. Bien sûr le programme à S.-C. risque d’être annulé si décision est prise de rallier Fontès en catastrophe suite à la dégradation subite de son état ou à un mauvais déroulement de l’opération.



Malgré son âge canonique, je n’imagine pas, affectivement, ne plus l’avoir présente, vivante, dans un coin chaud de mon cœur. Je songe à son existence démesurée : mes années vécues totalisent entre un tiers et une moitié de son parcours. Quoi de plus normal pour elle, pourrait-on penser, qu’une fin proche : le lien du cœur ne peut se résoudre à ces approches froidement rationnelles. La Camarde ne sera jamais la bienvenue, jusqu’au bout nous la repousserons…

Mardi 26 décembre
11h15. G. vient de m’appeler : grand-mère est morte, emportée par une embolie à la fin de son opération. Nous descendons jeudi à Fontès.
Certes son grand âge rend « logique » cette fin, mais sa fraîcheur intellectuelle aurait mérité quelque sursis de la Camarde… Une peine diffuse m’envahit…


Avec moi, l’affection a été totale jusqu’au bout ; elle m’a soutenu quels que soient mes choix.


Emportée au néant, mais vivante dans nos pensées, son sourire, ses yeux malicieux toujours là pour apaiser nos tourments d’adultes en devenir. Combien de fois l’ai-je évoquée dans ces pages ? Pas assez au regard de ce que j’aurais pu détailler comme ressenti… Et voilà la commune de Fontès qui va disparaître de mes points d’ancrage…

Plus que des gens aimés disparus qui peuplent son cimetière en cortège insupportable, renvoyant à notre intolérable finitude. Mes adorés Denise et Jacques, formidables grand-tante et grand-oncle toujours chaleureux avec moi, mon bougon mais si attachant grand-père dont je revois la nuque solide alors qu’il conduisait, dont le visage affichait l’intégrité, dont la présence impressionnait mes jeunes années. Ce grand-père partit trop tôt, laissant ma grand-mère à cette foultitude de moments partagés, condamnée à la solitude, malgré le passage régulier de ses enfants et petits-enfants.


Ma douce, tendre et adorée grand-mère… comment puis-je te rendre hommage ? Par ce que je sais le moins mal faire : écrire pour atténuer le manque. Me voilà orphelin dans cette dimension : je n’ai plus de grands-parents. Première marche vers sa propre fin… L’inéluctable angoisse de passer le relais, de ruminer sa nostalgie, d’accrocher insuffisamment la densité de l’instant pour tendre à le «sur-vivre».


Se laisser submerger par ce qui nous reste du meilleur de l’être aimé que l’on regrette de n’avoir pas vu davantage. Ma tendre et adorée grand-mère serrée contre moi pour la dernière fois au printemps : battante, elle remarchait avec son déambulateur, se forçant à cet effort quotidien qui entretenait sa dignité humaine. Toujours coquette, des escarpins aux pieds, quitte à souffrir à chaque pas, pour ne pas céder à la confortable facilité de grosses Nike ou assimilés.


Invraisemblable et absurde pour le commun de mes contemporains, elle était tout entière dans cet acharnement archaïque : point de culte du carpe diem, mais un attachement forcené à son paraître qui allait bien au-delà d’une banale question d’apparence. C’est toute une philosophie de l’effort existentiel qui transparaissait chez elle, comme une vigie urticante pour se rappeler de l’attention constante qu’on doit avoir à se détacher de nos penchants barbares, ceux qui font ressembler certains coins de notre planète à des aires sanglantes. Ses escarpins combattaient cette tendance si absorbante au laisser-faire, à l’aune de ses instincts. Son visage respirait ce combat sur elle-même qui tranchait sur beaucoup des occupants de La Providence (sa maison de retraite).

Ma princesse-grand-mère avait toute la conscience d’elle-même, n’hésitant jamais à amplifier son désagrément d’être un «poids» pour nous dans telle ou telle situation, ce qu’elle n’a bien sûr jamais été. Ses tendres râlages la mettaient à des années-lumière de la vieillesse impotente qui ne donne plus l’illusion que par ce que la personne a été…
Ma grand-mère a été elle-même à chaque instant, totalement en emprise sur le présent, d’une capacité à être par sa tête qui aurait pu faire passer pour de vagues légumes nombre de plus, beaucoup plus jeunes…


Ma grand-mère, à embrasser de tout mon amour, n’est plus, et je tourneboule mes souvenirs sans savoir par quelle facette les aborder. Ne sachant résumer en quelques malheureuses pages, et ne possédant pas une mémoire du détail factuel, je me résous à l’essentiel : lui adresser, par delà son récent départ, mes plus chaudes et reconnaissantes pensées pour la belle et fabuleuse grand-mère qu’elle n’a jamais cessé d’être.


02 décembre 2006

Désir tranquille

A y est ! les deux fauves voraces s’ébrouent dans l’espoir de lécher les ors élyséens.
De la force qui se rompt…
A ma droite, le vivace (l’agité, pour les contempteurs) qui n’en finit plus de se déclarer, comme une antienne autosuggestive. Depuis son coup de rasoir évocatoire jusqu’à la dernière trouvaille sémantique de son équipe de campagne en ébullition (en surchauffe ?), le bouffeur de racaille ne parvient pas à convaincre de son « désir d’avenir serein », mais empreint de bouleversements radicaux.
A l’ère de la surcommunication, un slogan rabâché fera l’affaire pour maquiller les écarts inquiétants : « La rupture tranquille »… Merci à feu Fanfan mité qui, en 1981, était allé chercher dans les fosses du publicitaire Ségéla « La force tranquille ».
Avec ce nouvel oxymoron, les ambitions de l’étalon enragé peuvent s’épanouir, au point d’engloutir les quelques voix dissonantes qui s’élèvent de son parti. Trop affûté pour être crédible en père tranquille, il tente d’arrondir ses angulosités par ce leurre sorti tout droit du pays des merveilles politiques. Que la force rompe avec toi… cher Nicolas !

…à la diplomatie participative !
A ma… gauche (enfin, je crois), la madone aux crocs dressés cisèle sa stature internationale. Après avoir évacué d’une bourrasque consultative ses deux rivaux internes, elle persiste, au Liban, dans cette volonté farouche de s’imprégner de l’alentour pour préciser, voire nourrir son discours.
L’immaculée candidate reprochait à son principal adversaire de droite d’avoir affiché son américanisme douteux, la voilà qui tutoie la complaisance avec un mouvement terroriste dont les haines n’ont rien à envier au réseau-frère Al Qaida. La langue de la féline a dérapé, sans aucun doute, mais à force de vouloir toujours écouter et s’inspirer des dires de l’autre, on se renie soi-même.
Son désir… de venir au palais de l’Elysée ne doit pas l’autoriser à l’incohérence diplomatique : un coup je déclare, dans l’hexagone, que l’Iran n’a pas droit au nucléaire civil, m’asseyant, avec élégance toutefois, sur les accords internationaux ; un autre coup, en pays étranger, j’accepte d’écouter les véhémences du Hezbollah et je comprends, voire je cautionne, sa haine des Etats-Unis. Attention, Madame la candidate, on ne peut pas rendre tout participatif, sinon l’âme vertueuse, dont on se drape, finira en loques interlopes.


Voilà ce court bestiaire de précampagne, en espérant que chaque prétendant à la cour républicaine soit davantage conduit par l’intérêt supérieur du pays que par la vague intérieure d’ambitions à court terme.
La France, notre France, en vaut la peine, non ?