21h58 – Cœur lourd ce soir, depuis le fond du lit. Ma Blandine n’est plus et une petite boule rouge sombre sur le côté droit de la langue est apparue ce soir, ou tout du moins j’en ai pris conscience. Le cumul me rend apathique, comme assommé par les épreuves.
Quelle va être ma vie désormais sans Blandine ?
5 janvier
22h56 – Je viens de finir le montage de 21 ans de photos de ma Blandine, depuis la frénésie de nos pérégrinations en France jusqu’aux dernières photos prises dans le parc du Val Rosay. La mise en musique, entre les notes d’Eric Legnigni ou de Satie et le violon bouleversant qui termine l’introduction d’un album de Coldplay, avec cette dernière photo prise de dos.
26 janvier
23h07 – En mémoire de ma Blandine je dois faire un recours contre la décision du Parquet de ne pas valider le Pacs in extremis qui n’a pu aller au terme de l’enregistrement. La désinvolture de la motivation du refus s’ajoute à l’obscénité d’une accusation d’opportunisme pour ne pas avoir à payer les droits de mutation : ce n’est pas pour l’éviter puisque de toute façon je ne peux pas les payer… Victime de mon humanisme dans l’engagement aux côtés de Blandine luttant contre la maladie, me voilà soupçonné de mesquinerie fiscale. Rien que pour cela, je dois me battre jusqu’au bout.
Tout dans « not’ maison » est « imprégné » de Blandine, pour reprendre l’expression de son papa prononcée ce soir au téléphone. Ce soir, en vidant l’eau du réservoir du sèche-linge et en nettoyant le filtre je fus submergé par le rappel des consignes que ma Blandine m’avait données pour l’utiliser alors qu’elle-même était déjà hospitalisée. Tout est plaie ouverte pour moi.
Mener tout de front sans chercher à se projeter.
27 janvier
23h33 – Ma Blandine, via un portrait sur la cheminée de la chambre, me regarde. Je n’arrive toujours pas à assumer la réalité de sa disparition. C’est comme un outrage trop profond à la vie.
29 janvier
0h37 – A 0h22 j’ai envoyé un mail à ceux, de mon côté, qui se sont manifestés par leur présence, par un hommage ou une pensée après la disparition de notre Blandine, un mois plus tard, à la minute près.
Toutes ses affaires laissées pour la plupart telles qu’elle aurait dû les retrouver. Incommensurable tristesse mêlée à une profonde reconnaissance d’avoir pu partager son existence vingt-deux ans durant.
30 janvier
23h07 – Le choix du portrait de notre Blandine pour la plaque qui sera apposée au columbarium semble se porter vers la photo de 2010 que j’ai prise et qui montre son visage se reflétant dans un grand miroir suspendu en pleine nature. On voit donc et son visage et l’arrière de sa tête avec sa chevelure abondante. Si on regarde bien, une trace apparaît sur le miroir juste au-dessous de son œil droit et forme comme une larme… La « mise en abyme », pour reprendre l’expression d’E, touche au plus profond.
31 janvier
5h – Le chauffage à pétrole vient de démarrer. Réveillé depuis trente minutes à répartir les photos sur mon portable dans les albums numériques requis, celles prises pour ma Blandine me retiennent plus particulièrement : l’étal de feutres que je lui avais envoyé afin qu’elle choisisse les couleurs souhaitées pour les Mandalas à colorier ; les quatre hauts bien pliés photographiés sur le lit pour qu’elle sélectionne celui à lui apporter au Val Rosay…
Régulièrement l’angoisse mélancolique serre ma gorge : elle ne sera plus jamais présente en dehors de ces souvenirs et de l’imprégnation de « not’ maison » par les objets et l’écho métaphysique de la vie passée ici. Cette peine ne me quittera plus.
1er février
6h31 – Ce matin une pensée sur le long séjour de ma Blandine au Val Rosay. Tous ces efforts dans l’objectif de réintégrer « not’ maison » : elle avait même décidé d’un parcours dans le parc, vers la fin, qui lui permettrait de monter, en trois séquences, l’équivalent de nos trois étages.
Je revois mes départs, avec toujours ce pincement au cœur déjà serré de la laisser ainsi jusqu’à ma prochaine visite, mais au moins la visée était constructive, son retour ! Et la voilà partie pour toujours !
2 février
6h57 – Ce matin, la douceur suivante me revient : quasiment tous les jours à la maison et lors de la plupart de mes visites à La Protestante puis au Val Rosay, je passais soigneusement du lait hydratant (Nivéa) dans le dos de ma Blandine ainsi qu’une lotion nourrissante sur son crâne et ses petits cheveux épars. Ce moment d’attention physique, de présence caressante contribuait à combattre le mal. Tout cela n’est plus, j’en hurle intérieurement.
3 février
7h01 – Tous les « objets » qui peuplent d’elle « not’ maison » forment comme un nid de réconfort de la savoir présente à travers eux, mais peuvent d’un coup s’ériger perçant jusqu’aux larmes puisqu’ils ne peuvent me la ramener : son coupe-vent avec un de ses colorés longs foulards pour couvrir son cou que j’ai laissés accrochés au porte-manteau de l’entrée ; le dernier ouvrage dont elle avait commencé la relecture, ayant terminé tous les derniers offerts ou achetés, et que je lui avais apportés au Val Rosay – "La Peau de chagrin" de Balzac avec le marque-page à l’endroit où elle s’est arrêtée – reste ainsi sur sa table de nuit ; son doudou, bien sûr, en compagnie duquel elle était lorsque j’ai pris, en 2022, une photo de son visage amaigri par la maladie mais au regard intense qui me fixe et me bouleverse – ce compagnon de combat qu’elle serrait contre elle pour s’endormir, est désormais assis l’une des oreilles posées sur une mini-enceinte pour accentuer sa posture, juste en dessous du portrait de notre Blandine choisi comme incarnation lors de la cérémonie – tous ses vêtements que j’ai soigneusement lavés, séchés, et rangés dans les placard et commode de la chambre ; ce carnet où j’écris, qu’elle avait laissé vierge dans sa table de nuit avec un autre entamé en 2002, au tout début de notre histoire, mais qu’elle n’a pas poursuivi, sans doute parce que la sérénité de notre quotidien n’appelait plus de catharsis scripturale – je me devais donc de donner mes mots de deuil à celui resté vide… et tant d’autres objets...
Au lit, avec ses deux oreillers à mon côté gauche, et elle qui dormait ou sommeillait, combien de fois j’ai rempli des pages de diariste, qu’elles soient de papier ou numériques, et là manque l’essentiel : sa respiration, son adorable visage auquel je pouvais faire un petit bisou pour lui rappeler combien elle me rendait la vie douce…
4 février
7h52 – Posés sur le dessus du frigo, livres, cahiers et notes dédiés à la cuisine, dans la vaine attente que ma Blandine les ouvre et les consulte. Me reviennent tous ces plats qu’elle a concoctés avec amour et que j’ai photographiés au fil de ces dernières années, traces de ces moments gourmands : les verrines aux fraîches saveurs, les poissons grillés ou à la vapeur, les légumes fondants mitonnés ou cuits eux aussi à la vapeur, les viandes sur le gril et leur sauce… ma Blandine, tout de toi me manque, mais « not’ maison » te fait vivre partout. En écrivant ces quelques lignes j’ai ton regard intense depuis la cheminée, toi devant une cascade dans les premières années de notre histoire que je ne pouvais imaginer si prématurément interrompue.
6 février
5h40 – Hier, J a eu quatre-vingt-dix ans… et dire que nous devions nous rendre au Cellier avec notre Blandine pour fêter cela ! Cette absence revient comme une blessure lancinante chaque jour : Blandine me manque et ce combat mené toutes ces années pour devoir partir si prématurément rend la morsure de sa disparition encore plus vive.
22h59 – Séance de pliage de linge propre ce soir avec, parmi les vêtements, une paire de chaussettes de ma Blandine. Le moindre signe de sa présence qui n’est plus me catapulte dans un douloureux vide.
Je songeais ce soir à toutes ces douceurs qui polissaient notre quotidien, comme lorsqu’elle posait sa tête sur mes cuisses pour que je lui caresse les cheveux pendant qu’elle regardait un épisode d’une série partagée.
8 février
Lorsque, la nuit, je me levais pour aller faire un petit pipi, je prenais soin, pour qu’elle ne s’inquiète pas, de le lui dire tout doucement et d’ajouter « je reviens ». La nuit d’avant cela m’est revenu comme un serrement de l’âme à qui il manque une part d’elle-même, et je l’ai sentie allongée dans la pénombre alors que j’étais levé pour cette tâche. Les mots rituels ont failli être prononcés tant je la voulais / sentais là...
11 février
19h51 – Je viens de « nous faire un dodo tout propre » comme aimait à me l’annoncer ma Blandine lorsqu’elle venait de changer housse de couette, drap housse, taies d’oreillers et taie de traversin, avec ces parures de lit qu’elle avait soigneusement choisies pour l’harmonie chaleureuse des couleurs. Tous ces gestes de notre si douce quotidienneté me manquent terriblement.
La plus authentique façon de la faire vivre est de perpétuer ses gestes, ses paroles, cette onctuosité existentielle qu’elle incarnait.
A toi…
13 février
16h19 – Les semaines passent mais n’apaisent en rien le manque.
L’interruption brutale, car même les années d’épreuves laissaient la perspective d’une amélioration ou, au moins, d’une stabilisation, rend la suite éprouvante.
Notre amie M m’a confirmé hier qu’elle avait échangé avec Blandine lors d’une de ses visites au Val Rosay à l’automne 2023. Le souhait de se Pacser était évidemment plein, entier et renouvelé, mais elle ne voulait pas d’un simple enregistrement administratif, rapidement expédié ; elle voulait que ce soit l’occasion d’une fête partagée avec ses proches pour célébrer cette union civile avec moi et son triomphe contre la maladie lui permettant justement de vivre cette chaleureuse consécration.
Encore un argument en faveur de la réitération de sa volonté de signer et de faire enregistrer ce Pacs que la démarche « in extremis », incarnée par la procuration et le certificat médical, n’a même pas permis d’exaucer. Ne pas le reconnaître comme étant sa volonté équivaudrait à une forme de trahison et d’outrage de la Justice.
15 février
6h13 – Me voilà tellement seul et sans élan pour quoi que ce soit.
Vivre ce qu’il reste en préservant le bien commun, les affaires de ma Blandine, voilà l’essentiel pour moi désormais.
17 février
23h05 – Visite de maman jusqu’à demain.
Nombreuses évocations de ma Blandine et ce soir je retrouve sur DVD l’enregistrement filmé d’une soirée loto déjantée en 2003 à Saint-Crépin avec ma Blandine… trace visuelle d’elle, de sa voix, de sa présence, de ses gestes… très émouvant de la voir ainsi.
Maman m’explique que grand-mère, après le décès de grand-père, avait laissé ses bretelles pendues à la porte de la salle de bain pour marquer sa présence jusqu’à la fin. Je fais pareil avec ma Blandine et tous ses objets qui la rappellent dès l’entrée…
25 février
12h10 – Je suis dans la sélection des photos pour le papa de Blandine depuis ce matin (à l'instant je commence 2021) et les émotions se bousculent.
12h48 – Larmes d'un coup lorsque je vois sa photo à Fontès avec son parapluie coloré sur fond d'un arbre en fleurs... elle si amaigrie et malgré tout un sourire... son dernier séjour en dehors de Lyon, avril 2023.
26 février
23h33 – Je viens de finir la sélection et le recadrage (pour les verticales) de 1429 photos sur lesquelles ma Blandine apparaît de 2002 à 2023. Elles figureront dans le cadre numérique offert à J samedi prochain pour fêter en large différé ses quatre-vingt-dix ans.
L’émotion qu’il a fallu gérer au cours de cette plongée visuelle dans tout ce que nous avions partagé, dans les adorables tonalités de son visage, dans toutes ses postures saisies par l’objectif, me rappelle combien le chagrin est à l’affût de la moindre occasion pour se rappeler à moi.
Grandira au fil des mois et des années la conscience de sa qualité d’être, de sa bonté sans pareille.
29 février
15h47 – Deux mois après le décès de ma Blandine je suis en partance pour Nantes : 6h30 de train pour retrouver ma si belle famille. Samedi, nous fêterons les quatre-vingt-dix ans de J et l’émotion risque de nous submerger par l’absence de notre « Blandine chérie », expression de son papa.
Depuis avant-hier j’ouvre tout le courrier caritatif laissé en instance par ma Blandine qui donnait aux ligues, associations, instituts, fondations… Je vais conserver un courrier de chaque organisme et leur faire un mail pour les informer que leur donatrice n’est plus. Le dossier « Blandine-caritatif » ouvert pour cela se remplit de toutes les belles traces de sa générosité. Je conserverai également les petits présents (stylos, carnets, cartes…) que certains de ces courriers comportent. Façon pour moi de garder vivante cette dimension d’elle.
20h04 – Me reviennent d’un coup les trajets en train partagés avec ma Blandine, chaque fois ponctués de gestes doux, nos mains tenues, sa tête sur mon épaule puisqu’elle ne supportait aucune activité en transport ferroviaire au risque d’avoir la nausée… Et là, tout seul sur mon siège… encore un coup au cœur.
1er mars
0h19 – La dernière venue de ma Blandine au Cellier s’était faite seule pour le Noël 2022. Me voilà au Cellier sans elle, dans cette chambre que nous avons si souvent occupée. Sans elle dans ce lit… alors que je la serrais tendrement contre moi pour qu’elle puisse sereinement s’endormir. Le manque d’elle mord sans répit.
8h32 – Dans moins d’une heure la visio-réunion avec maître T pour un premier contact avec la belle famille. Pendant que j’écris défile en aléatoire le diaporama réalisé : quelque mille quatre cents photos sur lesquelles figure ma Blandine de 2002 à 2023 : son visage aux différentes périodes de notre histoire me remplit d’elle. Ainsi sur son vélo vers Saint-Tropez, quelques semaines avant que ne tombe le terrible diagnostic ; aux Orres en 2002, une de nos premières photos, avec le tout jeune R à l’air espiègle ; à Parmain en train de feuilleter un bel ouvrage photographique, devant la cheminée sans feu, sa belle chevelure sur le côté ; chez nous, pour ses 39 ans, attablée avec une coupe celtique emplie d’un breuvage doré, peut-être un pétillant de Fontès ; cheveux courts en extérieur, avec un panorama en contrebas, lunettes de soleil ; retour à Parmain, ma Blandine sommeillant sur le canapé, sérénité d’une vie partagée ; à Saint-Michel Chef Chef, je crois, de dos, mais son adorable visage souriant tourné vers l’objectif et dans son regard de l’amour ; vers Fontès, de dos, elle me prend en photo et je porte sur le dos N bébé qui rit au vent ; devant le moulin de Daudet, les cheveux attachés et l’air mi-sévère mi-souriant ; ensemble dans le parc d’un cimetière militaire américain, au soleil, moi avec la barbe, elle les cheveux courts ; avec D et L dans le cimetière de Fontès à se recueillir près du caveau des B ; toujours à Fontès, mais lors de la déjantée soirée festive du rosé, elle danse, moi tout près et le cousin P, lui aussi décédé...
3 mars
7h47 – Chaleureuse journée fêtant les « nonante ans » de J avec ses plus proches dont je fais partie. A-M avait mis bracelet et collier de bois que notre Blandine lui avait offerts.
Je vais lire les quelques courriers qu’elle m’a confiés, écrits par Blandine adolescente, période à vif.
7h56 – Ses vers libres si touchants de bonté et nourris d’absolu. Cette bouleversante symbiose des mots choisis. A dix-sept ans, dans son poème :
« Il y a une femme qui crie en moi
Qui hurle à s’en étouffer
Qui veut sortir du carcan qui l’enferme
Ouvrir les bras très grands
Pour s’épanouir au soleil »
Quarante ans plus tard, C m’envoie un poème de Simone Veil à lire lors de la cérémonie en hommage à Blandine disparue, ce qui sera fait par sa sœur devant l’urne funéraire au cimetière ancien de la Croix-Rousse. Dans cette poésie, ces vers :
« Il restera de toi ce que tu as offert
Entre les bras ouverts un matin au soleil
(…)
Ce que tu as semé en d’autres germera »
Miraculeux, mais le manque d’elle en est d’autant plus évident, et ce carnet en témoigne.
4 mars
13h48 – Les parents de ma Blandine ont tenu à m’accompagner jusqu’au quai et à attendre le départ du train Cellier-Nantes. Si touchant de les voir ainsi et d’imaginer leurs pensées dans ces instants. Prégnante gravité qui leste désormais cette existence.
Comment pouvais-je envisager une suite de vie sans ma Blandine ? Quel sens ! Lorsqu’un de nos proches, A je crois, avait abordé les hypothèses possibles à venir et ce que j’entrevoyais, je m’étais presque fâché qu’on puisse même songer à plusieurs voies possibles alors que l’évidence pour ma Blandine et moi s’imposait : la guérison évidemment ! Etat d’esprit qui ne pouvait souffrir un autre scénario…
19h31 – Il y a deux heures environ, appel des PPF m’informant que la plaque pour l’urne funéraire de ma Blandine est prête. Dernier acte de son inhumation qui se fera en ma présence.
7 mars
23h09 – La pose de la plaque funéraire se fera jeudi 14 mars vers 16h.
Encore cet après-midi, le fait de jeter des denrées d’apéritif, certains périmés depuis 2022, m’a rendu d’autant plus triste en songeant à tous ces moments partagés qui ne seront plus jamais.
La fragilité de nos vies…
9 mars
23h12 – Fin de soirée à ouvrir et classer les quelques dizaines de Charlie Hebdo non lus par ma Blandine. Abonnement évidemment arrêté peu de temps après son décès, plus précisément le 10 janvier 2024, le lendemain de la cérémonie : couverture consacrée au vieil Alain Delon dont le journal satirique se demande qui va le pousser une dernière fois sur les marches de Cannes. L’acteur est poussé au sens fatal dans l’escalier et l’on voit ses dates de naissance et de mort imaginée (1935-2024).
Moi c’est 1967-2023 bien réel qui me crucifie de chagrin…
14 mars
6h46 – Ce jour, vers 16h, je serai au cimetière ancien de la Croix-Rousse pour la pose de la plaque de ma Blandine à l’endroit où son urne funéraire repose. Encore un moment d’intense émotion à vivre et qui rejoindra tous ceux, notamment dans « not’ maison » où je pense à elle, au fait qu’elle ne soit plus que dans mon / notre cœur. Sa présence m’était si précieuse… J’aurais dû lui dire encore et encore, de plus pressante façon. MA BLANDINE, pour l’éternité.
Hier ses adorables parents m’ont appelé quelques secondes alors que je m’apprêtais à commencer la soupe, pour me prévenir que les paramètres de déclenchement puis de mise en veille du cadre numérique étaient de nouveau pris en compte suite à mon aide à distance de la veille. Je leur enverrai aujourd’hui quelques photos de la plaque posée, du cimetière, de cet environnement apaisant dans lequel les cendres de leur fille reposent.
23h23 – La jolie plaque céramique est posée juste en dessous de celle qui devait être là provisoirement et qui finalement a été laissée. Ma Blandine repose juste au-dessus des urnes de deux jumeaux, l’un mort-né le 21 janvier 2024, l’autre au bout de quatre jours. Deux anges tout près de ma Blandine que je viendrai voir régulièrement.
16 mars
21h49 – Soirée en vase clos. Déjà à l’horizontal avec pour seul décor quelques copies à corriger. Blandine me permettait de ne pas sombrer dans la morose perdition : désormais les sables tombaux s’imposent sans trêve.
17 mars
22h – Je me sens tellement dépositaire de tous ces objets et produits que ma Blandine a laissés, sans que rien ne puisse leur faire retrouver un usage. Je reste avec tout cela, comme tétanisé par ce qu’ils portent en eux : telle crème, tel ustensile, tel ouvrage… tout me ramène à ma Blandine sans que jamais je puisse la ramener à moi, en vrai, en réel, mais elle est là en amour…
Dans le dodo « tout propre » du jour, la peine s’exacerbe.
19 mars
23h05 – Ce soir, appel d’A-M pour me prévenir que J était hospitalisé depuis la nuit dernière pour cause de grave gêne respiratoire. Une toux grasse persistait depuis plusieurs jours et là le diagnostic est tombé : de l’eau dans les poumons et autour du cœur – cela rappelle évidemment l’un des maux de ma Blandine qui avait dû subir des ponctions à plusieurs reprises.
Sans être alarmiste, la nouvelle ne peut qu’inquiéter. Espérons un prompt rétablissement. A suivre de très près.
20 mars
23h35 – J semble aller mieux. Espérer qu’il sera sorti de l’hôpital ce week-end.
25 mars
2h38 – Ma Blandine aurait eu 57 ans aujourd’hui, cinquante-sept ans ! c’est bien trop tôt pour mourir !!!
31 mars
8h34, heure d’été – « Collé dans le lit », comme si ma Blandine venait de prononcer cette expression, son expression lorsqu’elle voulait prolonger le dodo du matin.
Se sentir veuf à ce point ressemble à ce que doit éprouver l’orphelin. Ce lieu est là avec tout ce qui l’imprègne d’elle, le manque toujours tenaillant.
23h43 – Submergé de peine vers 19h30 lorsque, m’étant décidé à faire l’état des produits alimentaires laissés par ma Blandine dans la « pièce de travail », comme elle la dénommait, j’ai dû constater tous ceux qui étaient périmés, pour certains – notamment plusieurs paquets de thé en vrac – depuis 2022… Tous ces produits qu’elle utilisait pour nous concocter de merveilleux plats si joliment présentés (et dont j’ai fait des dizaines de photos qui constitueront un album). Comme brisé en pleine vie, tout ça arrêté alors que nous aurions dû doucement vieillir ensemble. Je vais devoir jeter toutes ces denrées et cela me foudroie de douleur.
4 avril
22h49 – A devoir aller inventorier ce que contiennent les trousses et contenants divers de ma Blandine, un coup au cœur se fait sentir. Je tombe sur sa petite pochette à médicaments avec cette inscription « chat m’épuise », désormais humour sinistre pour moi.
Tant de vide m’entoure sans aucun enclin pour l’atténuer.
8 avril
23h23 – Ma Blandine et ses derniers instants me reviennent sporadiquement comme la hantise de ne pas avoir été assez présent, de ne pas l’avoir suffisamment soutenue dans ce combat, et pourtant je sens avoir fait tout ce que je pouvais, mais rien n’y fait, sa disparition m’effondre. Sa générosité, sa bienveillance…
10 avril
22h09 – Reçu les conclusions du parquet dans l’affaire qui m’oppose à lui à propos de la non validation du Pacs : une enfilade de points juridiques, d’arguments plus ou moins cohérents et un relent de cynisme qui atteint l’abjection sur l’un des aspects.
11 avril
6h34 – Pour prolonger les quelques lignes d’hier : l’argumentation du ministère public, qui n’a certainement pas droit à une majuscule, et même la minuscule lui fait trop d’honneur, sous un fatras juridique indigeste, laisse clapoter ses repoussants miasmes d’une salauderie achevée. Dire qu’il y a un doute sur le consentement au Pacs de ma Blandine tout en actant la procuration faite en ce sens quelques jours avant son décès, même si ce mandat n’est juridiquement pas possible pour un Pacs, c’est afficher un mépris à fustiger. Balayer en une expression la reconnaissance d’un couple uni par les nombreux témoignages, c’est rendre encore plus ignominieusement mécanique le juridisme mal placé de cette minable administration. D’un côté l’humain, de l’autre un vague concept malodorant. Au juge de choisir, mais l’esprit de corps, même si celui-ci est repoussant, me laisse peu d’espoir.
17 avril
22h53 – Lundi prochain, l’audience sur le Pacs et une décision environ un mois plus tard. Viendra ensuite le règlement de la succession qui fixera le modèle pour les décennies à venir, donc jusqu’à mon propre décès.
Ma Blandine, tu es et seras toujours là, en moi : ta bonté rend encore plus injuste le fait de t’avoir privée d’une bonne part de la vie qui te revenait et que nous aurions dû partager ici.
20 avril
23h13 – Toujours si dur sans ma Blandine que j’aurais dû dorloter davantage. Je n’ai plus qu’images et pensées pour qu’elle soit là, et ce lieu tout imprégné d’elle. Morosité incurable.
27 avril
Minuit – Je ne reviendrai jamais pleinement parmi les vivants. L’âpre près écorchera jour après jour le reste du semblant de vie : Blandine n’est plus, je resterai crucifié sans pouvoir déchiffrer l’abécédaire du vivre pleinement. Pas fait pour moi. Trop de sombre accumulé, trop de tourments m’assaillent.
29 avril
4h19 – Blandine était la seule à combler cet isolement forcené que j’ai au fond de l’âme.
1er mai
11h25 – Je viens de finir de faire « un dodo tout propre » comme aimait l’annoncer ma Blandine qui manque à chaque instant de mes gestes quotidiens. En tentant de choisir la bonne combinaison de couleurs pour la parure de lit, je tombe forcément sur des taies d’oreiller et de traversin que ma Blandine avait soigneusement repassées, pliées et rangées. J’ai vaporisé de son parfum léger sur l’étoffe restée dans l’entrée et qui entoure nos coupe-vent. Là par tous les sens, mais cette absence me mine aux tréfonds.
23h59 – Après une soirée avec d’anciens collègues de Cqfd, de retour dans le Nid. Blandine me regarde : je vais dormir sous sa protection.
6 mai
6h19 – Hier le cadre numérique diffusait tout près de moi les photos de 22 ans de partage avec ma Blandine : le Nid est mon ancrage, pour le plus doux et le plus sombre.
8 mai
6h43 – Vendredi, j’irai au cimetière ancien de la Croix-Rousse pour être un moment près de Blandine et rempoter les mini arbustes laissés sur la petite avancée devant l’endroit où ses cendres reposent. La dématérialisation de son corps, sa disparition organique, rend encore plus intime son souvenir : l’intériorisation conceptuelle s’impose.
Ces portraits de Blandine sur la cheminée du dodo ont des regards-baume sur ma peine, mais la morosité me ronge en pensant qu’elle n’est déjà plus.
18 mai
7h58 – La pluie me suit comme autant de larmes que je verse avec la disparition de Blandine. Gros orage au cours de la nuit et là des trombes d'eau tombent... jamais eu ça à Fontès.
19 mai
6h42 – Ces séjours familiaux sans ma Blandine ont perdu leur saveur : le bien-être qui ouatait nos déplacements compensait et apaisait mes dérives misanthropiques, mon asociabilité récurrente. Ce retour du seul-dans-la-vie exacerbe mon rapport distancié à l’alentour.
20 mai
18h40, depuis la gare de Sète – Maman vient de me déposer : séjour agréable. A l’instant, dans la recherche aléatoire des musiques, « Blandine, une héroïne » passe. Dans cette gare, le dernier voyage en train effectué avec elle. Nous avions attendu le train à destination de Lyon. L’émotion submerge à chaque fois. Pas besoin d’une cohorte de morts pour changer votre rapport à l’alentour. L’être essentiel disparu suffit pour relativiser tout le reste.
25 mai
7h54 – Petit texto ce matin à J & A-M pour leur annoncer qu’enfin – cela fait plusieurs semaines que j’avais ce projet – j’allais voir notre Blandine et rempoter les deux plantes ornant son emplacement. L’étude du parcours ne laisse aucun doute : le trajet en vélo’v sera le même que celui que j’effectuais lorsque j’allais la visiter à la Protestante tout comme le début de l’ascension à pied. L’émotion va être considérable.
Hier j’ai classé tous ses papiers administratifs, mais aussi ses travaux sur papier en rapport avec la broderie (tout comme la dernière entamée), les partitions liées à la chorale A à laquelle elle a participé et son travail (rapport de stage, mémoire) comme étudiante-infirmière, dans des boîtes d’archivage proprement alignées au dernier rayonnage du grand placard côté fenêtre de la pièce principale.
Je vais ainsi avancer, pas à pas, dans le rangement affectueux et en douceur de ses affaires afin de la sentir toujours présente.
Dernière page du carnet qu’elle avait laissé vierge dans sa table de nuit et que je me devais de remplir de tout ce qui me lie à elle, MA BLANDINE
23h23 – Retour au cimetière ancien de la Croix-Rousse. Emotion décuplée lorsque je commence, après un trajet en vélo’v, le parcours pédestre : les rues Eugène Pons puis Saint-Dié sont celles que je prenais pour commencer l’ascension vers ma Blandine hospitalisée à La Protestante. Le plus souvent je lui adressais un texto juste au moment de débuter cette marche et vingt minutes plus tard j’étais près d’elle. Là, il m’a fallu une demi-heure, après le vélo’v, pour retrouver son lieu de repos éternel… J’ai effectué le changement de pot des deux plantes, pris tant bien que mal quelques photos et déjà s’est imposé le moment de repartir avant la fermeture à 17h.
27 mai
23h44 – N’être plus rien qu’un souvenir… ce soir, avenue Félix Faure, je réalise une fois de plus l’injuste absence de ma Blandine, et au moment d’ouvrir la porte d’entrée me revient le doux son du « coucou ! » qu’elle m’adressait à chaque fois et auquel je répondais à l’identique. Une façon affectueuse de s’accueillir.
Aujourd’hui plus que du silence, du vide.
14 juin
23h48 – Toujours des moments d’infinie tristesse où le manque de ma Blandine me serre la gorge et fait venir les larmes. A chaque fois un élément déclencheur : cette après-midi, alors que je classais divers papiers restés parfois depuis plusieurs années dans des barquettes, je tombe sur certains de ses résultats d’analyse de sang. Elle avait elle-même effectué du tri et m’avait confié tous les papiers pouvant servir de brouillon, car imprimés qu’au recto.
Voir cela effondre. Se dire qu’elle n’est plus là pour toujours : lame dans le cœur…
11 juillet
18h23 – Arrêt dix minutes en gare de Nevers. Long, long, long trajet pour arriver jusqu’à Nantes sans ma Blandine. Me reviennent ces moments ferroviaires : elle posait régulièrement sa tête sur mon épaule pour que passe en douceur le voyage ; sa main aussi, régulièrement à la mienne, marquait l’évidence de s’être choisis : atroce chaos de l’avoir perdue si vite… vingt-deux ans à peine, une histoire en pleine jeunesse… fauchée !
19h08 – Tout doit pourtant continuer, vaille que vaille, avec ces retours d’émotion comme des coups de grisou intérieurs, déflagrations plus ou moins gérées. Moi qui pensais avoir trouvé une définitive et chaleureuse place près de ma Blandine, expulsant ainsi à jamais les spectres sordides de l’époque maudite de Heïm, me voilà renvoyé à l’incertitude d’une existence amputée de sa moitié…
13 juillet
0h27 – Le temps du deuil est très loin d’être révolu. La soirée vient de me le rappeler. L’évocation de ce passé partagé avec Blandine accentue le manque et fait rejaillir la peine.
22h31 – Journée avec A-M & J pour diverses tâches ou activités dont une marche de presque un kilomètre autour d’un joli plan d’eau situé à Oudon (lieu de nos premières sorties lorsque ma Blandine m’a présenté à sa famille). Toujours autant d’émotion qui submerge lorsqu’A-M retrouve des photos anciennes de Blandine bébé, enfant, adolescente ou jeune adulte.
14 juillet
23h48 – Dernière journée pleine de ce premier mini-séjour estival avec les parents de Blandine. Un excellent restaurant, L’Art des Mets, tenu par un couple de femmes (avec 18 ans de différence d’âge), suivi, dans la maison du Cellier, de l’état des possibilités pour l’aménagement du futur habitat d’A-M & J. En fin d’après-midi je passe un court moment dans l’unique chaise longue avec repose-pieds à lire le Blum de Collin, occupation que j’ai tant de fois effectuée quand nous séjournions ici. Ce sera sans doute la dernière fois que je m’y adonnerai dans ce lieu désormais destiné à la vente. Je vais tenter d’accueillir dans le Nid un meuble de rangement (avec écritoire) que ma Blandine avait reçu jeune femme… il est donc désormais émotionnellement très important pour moi. Tout cela remue tellement… Je ressens encore combien étaient doux les passages de ma Blandine dans le jardin venant s’inquiéter de si j’allais bien : toute cette douceur dont j’aurais pu être davantage demandeur, passer bien plus de temps tout près d’elle… atroce disparition !
18 juillet
23h09 – Toujours ces instants de profonde tristesse avec ce chemin de vie partagé brutalement obstrué par la disparition de Blandine… Quatre jours d’intense chaleur appellent à un déplacement au cimetière ancien de la Croix-Rousse pour arroser les deux arbustes en pot qui arborent son petit emplacement funéraire. J’irai samedi tôt pour ne pas souffrir de cette touffeur.
20 juillet
8h36, depuis le cimetière ancien de la Croix-Rousse – Il fallait une aube radieuse avec encore un peu de fraîcheur pour venir te voir, ma Blandine. Trajet à vélo’v depuis notre Nid jusqu’à la place Adrien Godien, puis le reste à pied : ascension via les rues Eugène Pons puis Saint-Dié, la même que celle effectuée le plus souvent possible pour passer du temps près de toi à la clinique de l’Infirmerie protestante où nous avons vécu tes derniers instants.
Comme un signe poignant, le parcours me fait passer devant le 21 de la rue Jacques-Louis Hénon, lieu de ton premier logis après ta naissance, au troisième étage.
L’entrée du cimetière ancien a la prestance des siècles accumulés, de toutes ses âmes qui bordent ses allées : emprunter.la principale jusqu’au bout, tourner à droite pour une perspective qui laisse voir le « bloc 13 », là où tu es désormais, non point sous terre mais à hauteur d’être. Marche empreinte d’une sourde et incurable tristesse, mais aussi d’une forme de paix, te sachant dans ce lieu pour l’éternité humaine, esthétique comme nous les aimions – nous avions déambulé dans quelques cimetières, notamment parisiens, et partagions ce goût pour la sérénité de ces endroits.
Je viens de verser un litre et demi d’eau fraîche dans le pot des deux mini-arbustes apportés le jour des obsèques par ta sœur et conservés pour arborer ton charmant coin de repos.
Le poids du manque se vit au jour le jour et bouleverse mon rapport au monde. Conscience d’avoir partagé avec toi un peu plus de deux décennies de velours renouvelé, mais insupportable absence qui transperce le temps présent sans parvenir à le surmonter. Ce reste d’existence ne peut envisager le dépassement du chagrin, quel que soit le conseil délivré. Je n’ai de vie que dans un silence entretenu autour de la puissance des souvenirs, ce vécu qui étrangle ce qui pourrait suivre. Pas la force de passer outre, juste celle de rester en communion avec toi et de ne rien céder aux distracteurs sans saveur.
Chez nous je vais bientôt accueillir le meuble rangement-écritoire en merisier que t’avaient acheté tes adorables parents alors que tu n’avais pas encore vingt ans.
Ce moment avec toi affermit les doux pastels des vingt-deux années qui l’ont précédé et engage pour le temps restant. Je ne peux affronter ces vagues submergeantes d’émotion qu’en faisant fleurir aux murs de notre Nid des portraits de toi, de nous…
Je reste là encore quelques instants, mais le manque criant s’ancre à jamais. Ce retrait assumé du monde me préserve d’une plus rude perdition.
Je dois ici te laisser, ma Blandine, mais tu es avec moi, en moi à chaque instant, et je puise une bonne part de ma raison d’être dans tout ce que tu m’as apporté, si précieux à l’âme.
3 août
10h10 – A mon tour d’être dans le train pour ce second long trajet estival vers les parents de ma Blandine. Cette fois la belle-famille sera au complet : demain nous passons la journée à SDLC, repas chez L et X et occasion pour moi de découvrir en réel le futur logis plain-pied de J & A-M. Toujours cette sourde tristesse dont je ne peux me départir : elle m’est désormais constitutive car tant de situations ramènent au-devant le vécu dont je ne pouvais concevoir la brusque interruption. Une complexité psychique à gérer qui ne laisse rien pour une quelconque bifurcation. Assumer sa raison d’être sans se laisser détourner par les illusoires distractions.
4 août
9h37 – Ce cher J avec qui j’ai passé un moment à évoquer notre « Blandine chérie » alors que je lui montrais l’image du pan de mur sur lequel j’ai accroché des portraits, le coin du Nid où je travaille à l’ordinateur : besoin de la sentir tout près.
A-M m’a donné une photo d’elle, 16-17 ans, cheveux bruns épais, large frange, magnifique, ainsi que la coupe obtenue comme « Reine des vendanges – 1984 ». Encore un dense moment d’émotion partagé.
6 août
14h06, dans le train Ancenis-Angers – Dernière fois que je logeais au Cellier… vingt-deux ans plus tard, une part de moi se ferme et de ma Blandine reste aussi sur ces terres, avec nos séjours venant ponctuer les années partagées. Je passe à l’instant devant le palais Briau sis à Varades et des pincements de tristesse m’assaillent.
Vers 14h30, depuis la gare d’Angers – Là que ma Blandine avait fait ses études d’infirmière : nous étions venus déambuler dans ses rues une journée pour qu’elle me fasse découvrir son cadre estudiantin. En l’écrivant, des vagues mélancoliques s’enroulent autour de moi jusqu’à l’oppression.
10 août
10h13 – Je vais partir du cimetière dans quelques minutes. Venu arroser les deux plantes pour ce week-end caniculaire. Le petit sapin est déjà à moitié mort. Cette solitude assumée préserve mon lien à toi, ma Blandine. Tu me manques, tu manques à notre Nid.
Hier, lors du ménage approfondi de la grande pièce, de son mobilier et de ses objets, que je dois aujourd’hui remettre en place, j’ai aspiré la poussière sur ton doudou : là que je me suis aperçu que sa jambe gauche était en partie détachée du tronc. A force de le serrer contre toi… Je reviendrai ma Blandine, repose-toi.
13 août, depuis Fontès
15h53 – Après un moment d’allers-retours, brasse de face et de dos, un peu de repos dans la véranda-chambre. Au moment de récupérer mes tongues spécial piscine, émotion en voyant l’autre paire au fond du coffre, les deux seules dans ce grand contenant : celles de ma Blandine, là pour un impossible retour.
17 août
9h24 – Les parents de ma Blandine ont passé leur première nuit dans le nouveau logis. Pas du tout un nouveau départ, mais la poursuite de leur belle existence dans un cadre plus adapté à leur grand âge.
Ce séjour à Fontès me fait apparaître Blandine à plusieurs moments, rappelant combien elle a aussi imprégné ces lieux. Nos séjours étaient si doux que ne plus la sentir dans sa bienveillante réalité m’est éprouvant.
23 août
8h08 – Le week-end sera centré sur le rangement, la suite du nettoyage et la préparation des documents pour la promotion de mes services pédagogiques, activité de la semaine de prérentrée… sans ma Blandine à laquelle je pense chaque jour, à sa si précieuse présence, à ses attentions, sa douceur… tout comme une vague. Avoir partagé 22 ans avec elle, quel privilège !
Qu’elle ait eu sa vie ainsi raccourcie, quel traumatisme pour moi.
29 août
23h22 – Les jours passent et cette rentrée sans ma Blandine me pèse. Une plongée à vue dans ce deuil omniprésent.
31 août
22h55 – Ma Blandine me manque et tout ce qu’elle laisse dans le Nid hante mon esprit, mais gare à celle ou celui qui m’inciterait à me séparer de ses vêtements, de ses objets… j’ai besoin de la savoir là, même comme carburant de ma peine.
Je ne vis rien comme le commun agité par sa frénésie relationnelle, son consumérisme débridé, ses principes prémâchés. Ce pseudo bonheur matérialiste ternit l’âme et dévitalise l’humaine condition.
Demeurer loin des artificielles trépidations, des sordides accointances et de l’esbroufe paradeuse pour assumer sa cohérence.
14 septembre
21h53 – Ce soir, avant de me coucher, j’ai vaporisé un peu du parfum de ma Blandine sur le foulard qui entoure nos coupe-vent dans l’entrée. Depuis le lit, la porte de la chambre ouverte, sa fragrance me parvient. Toujours cette émotion à fleur de larmes.
20 septembre
22h30 – Demain je vais voir ma Blandine pour rempoter les deux mini arbustes dans un pot plus confortable pour eux. Au retour je devrais prendre possession d’une lampe ancienne en bronze doré qui parachèvera le nouvel environnement de la cheminée pour la pièce principale. Je me raccroche à ces parcelles matérielles pour ne pas totalement sombrer.
21 septembre
16h31, depuis le cimetière – Je viens de rempoter les deux mini arbustes qui n’ont visiblement plus une branche vivante. Je dois choisir une plante grasse résistante.
Je me sens tellement hors du temps, de ce siècle, de toutes les trépidations qui l’agitent. Ici pour l’éternité m’irait bien, sachant que je ne serais pas loin de ma Blandine.
22 septembre
6h51 – Je bois l’aube dans une bien triste plénitude. Sans Blandine, je demeure en suspens.
Ce trente-sixième Manus s’incarne dans un Cahier « it’s in my nature » tout de vert-couverture paré, que ma Blandine avait acquis mais laissé vierge de toute inscription. Je pleure en moi chaque jour son absence, je me languis sans espoir possible de sa si cardinale présence. J’aurais dû davantage encore la serrer tendrement contre moi, l’embrasser, l’aimer.
29 septembre
22h22 – Le meuble-secrétaire en merisier de Blandine est arrivé vers 18h45 au bercail, bien emballé par X. Le souhait de ses parents que je reprenne ce meuble si chargé de souvenirs pour eux est exaucé. Monté, il trouvera place dans la seconde chambre. Ma Blandine est et sera là, partout, toujours.
Comment vivre sa condition humaine lorsqu’on ne se sent porté par rien de ce qui enthousiasme la plupart ? Croire à quoi ? A une puissance supérieure ? Mais pourquoi aurait-il besoin, dans ce cas, que l’on croie en elle ? C’est nous attribuer une bien grande importance. Et si cela n’était qu’un grand Tout inconcevable pour nos si faiblard esprits. Je ne doute plus de mon incompatibilité avec le gros de mes congénères. Assumer ce retrait suppose d’endurer cet isolement incurable.
5 octobre
5h37 – Lorsque les tourments s’acharnent, ils annihilent tout ce qui, en soi, favoriserait la perception des petits bonheurs existentiels. Là, par exemple, avec une belle journée pédagogique en perspective, sans contrainte minante, couché dans la quiétude d’une aube qui se fait désirer, pour l’instant sans maladie – mais le nodule est-il si bénin que cela dans son envahissement – chacun de ces éléments devrait m’inciter à vivre sans assombrir l’instant en perpétuelle régénération.
De « not’ dodo » ma Blandine me regarde et veille sur moi. Je dois m’en montrer digne.
11 octobre
7h39 – Entre rêve et cauchemar, quelques bribes : Blandine est finalement revenue, la voilà de nouveau dans notre Nid avec les petits gestes quotidiens qui vont avec... à un moment, je suis dans la seconde entrée et d'un coup LA question me submerge : mais comment a-t-elle pu revenir à la vie ? Et là je prends conscience, dans mon rêve, que je suis en train de rêver, qu'il n'y a personne dans le Nid et je m'entends, en me réveillant, pousser des plaintes de désespoir.
12 octobre
23h03 – Je demeure encore incapable de ranger, trier certaines zones du Nid : ainsi la « pièce de travail », comme la désignait ma Blandine qui y a laissé tellement de traces à travers des papiers, des produits et des objets. Cet endroit je me l’interdis encore, n’y allant que de passage pour déposer ou prendre mais sans toucher à ce qu’elle a laissé. Il faudra pourtant bien que la rationalité s’immisce pour reprendre pied dans ce lieu.
13 octobre
13h – Matinée à déballer et nettoyer le meuble-merisier de ma Blandine en vue du montage à partir de 18h avec X comme guide en visio. Le Nid accueille ce meuble comme une présence supplémentaire et indispensable de celle qui ne cessera jamais de cruellement me manquer et que le sort a tragiquement privé de cette si douce suite d’existence partagée.
27 octobre
11h13 – Au fond du Nid aspiré, Blandine me manque atrocement. Qu’on juge cela tragique, dramatique ou simplement pathétique, peu m’importe, l’endurer mois après mois m’isole d’un monde que je ne supporte plus, si ce n’est par une présence musicale et scripturale choisie.
Le silence éternel pour ma Blandine : moi, loin de tout, je cultive un retrait aux sons limités, imperméable au reste. Demeurer ainsi, lucide sur soi, ses limites, ses allergies sociales, plutôt que se fourvoyer dans d’artificiels et nauséeux contacts. « Gagner le rien. Retrouver l’élémentaire. Revenir au néant de l’origine. » (Charles Juliet, 9 mars 1966).
21h46 – Troisième interprétation de l’Adagio d’Albinoni que je diffuse en position du gisant. Celle de Karajan est la plus enveloppante. A hurler avec tous les endeuillés de la Terre.
Dimanche 2 novembre au matin je retrouverai vers 10h les parents de ma Blandine au cimetière pour un moment partagé. Je mettrai les bruyères achetées dans le pot et nous nous recueillerons.
28 octobre
21h21 – J’ai pu ranger un peu la pièce de travail et jeter quelques paquets de lingettes intimes qui ne serviront plus, mais au bout d’une dizaine de minutes, après avoir archivé en vrac divers papiers que ma Blandine avait laissés dans sa bannette « à trier », notamment des feuilles A4 à petits carreaux remplies par sa main de menus divers, j’ai été pris d’un malaise psychique écourtant de fait l’objectif… à reprendre une autre fois, petit à petit, à l’aune des submersions émotionnelles.
30 octobre
8h17 – Toujours si rude de vivre avec la disparition de ma Blandine : un tiroir ouvert, un endroit rangé, un déplacement d’objet envisagé, tout me ramène à sa présence si douce et cruellement manquante. Combien tout m’apparaît dérisoire, notamment le cirque hystérique des politiques et de leurs affidés zombifiés. L’inaccessible compromis hexagonal ou l’incurable scission outre atlantique : la révulsion s’ancre en moi.
Charles Juliet – 8 juin 1966, "(...) la sincérité, c'est avoir la force de se connaître, de quêter l'immuable, de vivre ses Implications, d'affronter les épreuves, souffrances, déchirements qu'entraîne la progression, c'est avoir la volonté d'obéir à ses intuitions, de passer outre aux multiples peurs, appréhensions (...) qui vous tirent en arrière, c'est avoir le courage d'être seul et incompris."
1er novembre
0h43 – Détour vers les dernières photos prises de ma Blandine avec mon portable : toujours et à jamais poignant et bouleversant de retrouver son regard, la douceur exhalée, la faiblesse physique qui transparaît du fait de la maladie, et cette profonde présence qui n’est plus et que personne ne peut et ne pourra atténuer dans mon âme endeuillée pour toujours.
Le 3 novembre au matin, ma présence aux côtés de ses parents au cimetière ancien de la Croix-Rousse confirmera mon indéfectible besoin de la sentir là et de lui témoigner mon amour éternel.
L’écriture m’est plus que jamais compagne intime, témoin premier de mes tourments.
3 novembre
22h53 – Grand moment d’émotion partagée au cimetière ancien de la Croix-Rousse avec A-M & J.
11 novembre
Mot du jour, via Charles Juliet, un recès : lieu préservé des atteintes extérieures où l’on se retire. Exactement ce qu’est le Nid pour moi depuis la disparition de Blandine.
17 novembre
18h44 – Allongé sur la banquette où ma Blandine a passé ses derniers jours avant d’être, à nouveau et pour l’ultime fois, happée par la dégradation respiratoire nécessitant l’appel des urgences.
Là avec son cahier que je remplis, le tome III du Journal de Juliet que j’ai commencé et qui m’attend pour l’année… 1969, un plaid sur le corps et une plaie psychique à jamais présente. Là, tu me manques tellement : atroce de te savoir partie si tôt, si vite, alors qu’il nous restait tant à vivre, que j’avais encore tant à te dorloter… toutes ces photos encadrées de toi, de nous, forment une ouate mais attristent de fait.
18 novembre
22h42 – Qu’écrire de plus sur le manque de ma Blandine ? Pas une heure sans que je pense à elle. Le soir j’allume trois bougies, chacune près d’un portrait ainsi suavement éclairé. Ces moments de recueillement jalonnent une vie en berne.
1er décembre
22h15 – Le voilà ce mois qui m’évoque tant de bouleversants moments. Cet espoir d’un retour durable dans « not’ maison » avec l’appareillage nécessaire pour sa respiration, puis le nouvel effondrement avec un départ en ambulance sans pouvoir envisager un seul instant qu’elle ne reviendra pas… Le cœur encore pétri à vif de ce qui suivra à la Protestante, tout est là avec l’oppressante pesanteur de l’issue que l’on pressent sans pouvoir l’admettre : tant d’années à se battre, ma Blandine, pour davantage de vie.
Sache que tu es là, bien vivante en moi et ici, avec cette pétillance qui faisait de chaque nouvelle journée un enthousiasme, dans tes gestes tendres, tes rituels du quotidien, ta si douce présence, miel de vie qu’un siècle partagé n’aurait en rien altéré. Tout de toi est bien là, dans notre Nid : tes objets, tes vêtements, tes livres et cet univers chaleureux que nous avions forgé année après année. Je préserve tout cela comme une source d’équilibre. Que mon regard puisse se porter sur ta craquante frimousse dans tous les coins du Nid, cela atténue un chouia le manque pour qu’il ne devienne pas un traumatisme-impasse.
Pouvoir répondre à tes bras grands ouverts au soleil, c’est te serrer tendrement contre moi dans un sourire d’amour : Blandine, ma si belle âme, reste, je suis là, toujours.
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