20 mars 2011

Au bout Dubout !

Le caricaturiste Albert Dubout aurait croqué l’époque sans déceler de changement dans le comportement des gens du XXIe siècle. Les entassements de braillards difformes sévissent toujours, la jungle surpeuplée des soldes commerciales qui implique d’écraser l’autre pour remplir au mieux son panier n’a pas varié d’un iota, les couples improbables, mal associés, franchement disgracieux, qui s’étripent sur l’air de l’union singée ont toujours droit de cité… Suivons à la loupe ces foules comme autant d’individualités, mais sans espérer d’individualisation des attitudes : ça gueule uniformément dans une obscénité des trognes.

Son penchant pour les chats le rapproche de son aîné Léautaud, mais pas seulement pour ça : la sévérité de son trait complète le cynisme des lignes du bourru de Fontenay. Un pot commun de misanthropie distillée par une gouaille vivifiante. Moquons-nous, c’est grave ! reprennent-ils en chœur.

En 1940, pour capter l’ambiance sociale à l’amorce d’un nouvel affrontement franco-allemand, Dubout saisit une pleine page de situations quotidiennes à la sauce ypérite : chacun doit porter la tenue protectrice contre le gaz moutarde qui pourrait frapper au cœur des villes. La débâcle discréditera ce scénario, mais l’artiste avait génialement capté l’hystérie collective qui accompagne toute menace colportée par les médias et la rumeur publique.

Ainsi le digne Japon, et ses catastrophes cumulées, souligne la fragilité de notre civilisation confortable grâce aux apports des risques technologiques. Une ambivalence que l’on doit assumer sauf à pratiquer l’hypocrite posture d’un Etat qui rejetterait le nucléaire civil tout en important de l’électricité nucléarisée des nations qui assument le danger inhérent à cette forme de production.

Alors quoi ? Va-t-on décréter le confinement idéologique de toute prise de risques ? Que l’on améliore sans cesse les protocoles pour la sécurité, mille fois oui ! mais pourquoi fantasmer sur une sortie du nucléaire alors qu’aucun pays n’est autosuffisant en électricité produite par des énergies renouvelables…

Une centrale fermée, c’est mille éoliennes à déployer sur le territoire… avec la réticence des grincheux ruraux qui s’érige dès qu’on ose la « pollution visuelle » de leur coin de paradis. Les « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », définitivement ridiculisés par Brassens, encombrent encore nos contrées. Les mêmes beugleront si jamais l’une des centrales se grippe, celle-là même qui les aura dispensés de ces étendues de poteaux à hélices.

Il vaut donc mieux partir d’un rire magistral par quelques fresques cathartiques à la Dubout où chacun reconnaîtra la vilenie du voisin, sentant confusément qu’il n’est pas épargné par le cirque permanent de nos sociétés dégueulantes de tout et satisfaites de rien.

06 mars 2011

Chirac – s’ – en balance !

A l’heure où des peuples Outre-Méditerranée tentent, au prix de leur vie, d’engager leur pays sur la voie complexe d’embûches des États de droit, nous serions inspirés de leur présenter une République française un chouia plus aboutie : un petit pas judiciaire, mais un bond de géant pour la séparation des pouvoirs.

Jusqu’à présent, nous n’avons jugé nos dirigeants qu’à l’occasion d’un changement brutal de système politique. Un Louis XVI « coupé en deux morceaux », pour reprendre l’expression de l’indigné magistral Badinter (que j’eus le privilège d’avoir une année comme professeur d’amphi lors de mes études sorbonnardes), un Napoléon déclaré « traître et rebelle » par ordonnance, quelques piteux exils, un Pétain condamné à mort sans exécution : hétéroclite brochette qui s’est étoffée au gré des soubresauts de notre histoire. C’est ce modèle que suivront les Tunisiens, Égyptiens et Libyens s’ils parviennent à attraper leur (ex) autocrate respectif.

En 2011, l’occasion se présente enfin pour nous de juger un ancien président sans changer de République. La possible maturité du fonctionnement d’institutions aguerries se profile. Certes, les affaires qui doivent occuper la Justice n’ont rien de commun avec les crimes que l’on peut reprocher aux Ben Ali, Moubarak et Kadhafi l’insane. Le tribunal correctionnel de Paris doit juger un démocrate convaincu qui a, sans doute, distribué un peu trop de confiture pour asseoir sa conquête du pouvoir et récompenser des fidélités politiques. Rien de criminel, mais du répréhensible condamnable, comme pour tout citoyen.

Certains s’émeuvent qu’on puisse faire subir l’humiliation de la comparution à un ancien chef d’État « fatigué, vieilli, victime d’une certaine usure (…) marqué par une certaine passivité » pour reprendre les formules jospiniennes cette fois de bon aloi. Tout ancien président de la République qu’il est, il doit répondre de ses responsabilités passées, comme a dû le faire notre nouveau et frétillant ministre des Affaires étrangères. A l’impunité présidentielle devrait s’ajouter la complaisance envers le Corrézien cacochyme ? Ce serait la négation même d’une Justice égale pour tous. Alors oui, bien que fragilisé Jacques Chirac doit cela au pays qui lui a permis une carrière politique prodigieuse, mais pas toujours vertueuse. Pour lui, l’heure du bilan passe aussi par la case judiciaire.

C’est malheureusement sans compter avec la finauderie du talentueux maître Le Borgne, avocat d'un des autres accusés. Pour un justiciable hors norme, la question prioritaire de constitutionnalité va connaître son baptême des toges et la procrastination de l’aveugle Justice reprendre son cours désespérant. Une nouvelle dérobade, réflexe habituel de l’ex carnassier de la politique qui, en ce sens, n’a pas vieilli et encore moins mûri. Pour détourner une de ses expressions favorites : ça ne lui en touchera pas une de peur que l’autre ne se décroche… Dommage pour l’exemplarité de notre Cinquième…

Qu’un Nicolas Sarkozy laisse traîner quelques casseroles au sortir de son quinquennat et nous pourrions obtenir une détermination du pouvoir judiciaire bien plus mordante contre celui qui l’aura malmené. L’esprit de corps a la rancune tenace. Pas sûr que ce soit la posture la plus sage pour juger un ancien président.

Article publié sur les sites du journal Le Monde et d'AgoraVox