15 septembre 2007

Jacques Martin : en marge des moules

J. Martin - 1964
1er octobre 1964, à trente et un ans, l’animateur de
l’émission Chanson sur mesure décide de donner un coup de souffle à son temps d’antenne radiophonique en inventant le direct aérien. Il se lance à l’assaut du siège de Radio Luxembourg par la face Bayard. L’alpiniste urbain, suivi par son assistante et le réalisateur de l’émission, réalise l’exploit ascensionnel devant une foule de journalistes médusés. Voilà Jacques Martin, dans son éclatante folie maîtrisée.

Le cadavre-boom de cette année multiplie les rapts dans le monde des arts et du spectacle. L’animateur touche-à-tout constitue sa dernière prise.

Depuis presque dix ans, bien que retiré du petit écran, sa marque persiste tant par l’irrévérence pionnière dans ce média que par l’extrême maîtrise d’une animation multiforme, englobante, créative dans l’improvisation.
Sans être un féru des Grosses têtes de Bouvard, je ne pouvais qu’applaudir à la régénérante culture et aux fines férocités dont il savait faire montre.


L’aube Martin c’est un sens aigu de la troupe, en
poussant chacun de ses membres vers l’excellence de son art : le feu Desproges et l’encore vivace Prévost, bien sûr, pour l’inaltérable mécanique du rire ; l’explorateur des agrestes contrées, l’adorable Bonte et son sens humaniste pour révéler les gens simples dans leur touchante naïveté ; le croqueur d’actualité en montages dessinés, le rugueux Piem aux feuilles toujours en mouvement ; le complice premier (après Jean Yanne, tout de même), le bon copain encaisseur de vannes pour amuser le public, mais ne doutant jamais de son affection, l’attachant Collaro ; d’autres encore avec, à la baguette coordinatrice, un Martin au meilleur de son anticonformisme qui ne tiendra, malheureusement, que dix-huit mois cette émission.

Le zénith Martin tient, aux antipodes d’un Petit rapporteur sarcastique, d’avoir senti ce que la télévision du dimanche pouvait capter chez un peuple qui s’ennuie. Combien de fois, enfant et adolescent, débarquant au domicile de telle ou telle accointance scolaire, j’ai constaté l’omniprésence de l’infatigable animateur du jour du Seigneur, la télévision trônant au cœur de toute activité. Des générations de petites gens ont empli leur journée de repos du montreur de tous les arts doté, ce qui tend à se raréfier chez les pontes télévisuels du moment, de la crédibilité de l’honnête homme, celui qui laisse perler, sans l’once d’une infatuation, la finesse de son esprit et la solidité de sa culture.


Sans doute doit-on déplorer l’arrêt si rapide d’un trop dérangeant Petit Rapporteur au profit d’une plus mièvre Lorgnette, mais le talent de Jacques Martin ne pouvait se réduire aux rasades décapantes et ses propres impératifs économiques l’ont maintenu comme l’ordonnateur central du dimanche télévisuel.

Sa présence, son intelligence du moment à saisir, de la situation à exploiter, son brillant sens de la répartie et son sincère penchant pour le public a pérennisé son occupation dominicale, au point de s’ériger comme une institution du service public (maintenue aujourd’hui, sous une autre forme, par le professionnel Drucker).

Natif de Lyon, il savait cultiver une retenue qui décuplait l’effet de ses écarts à la convenance. Etre de bon aloi sans jamais être dupe du système dans lequel vous vous inscrivez : la clef d’une longévité télévisuelle sans lassitude (de part et d’autre) qui n’a pas altéré son appétit pour d’autres sphères (écriture, cinéma, mise en scène musicale…)

Le crépuscule Martin n’a malheureusement pas été décidé par l’éclectique personnage. Reclus par l’effet d’une paralysie partielle, lui le chantre de l’animation à l’étincelle sans temps mort du regard, il ne pouvait plus rien face aux ravages corporels.

L’écho d’une intarissable présence, celle qui vous apprend sur vous-même et sur le monde, se perpétue « sous nos applaudissements ». Lui qui parachevait la mise à l’honneur des autres, le voilà à jamais élevé chef d’orchestre de la télévision créative, celle qui nous manque tant.



03 septembre 2007

Vélo'vandales en Véliberté

Les grands médias se sont récemment enthousiasmés pour le Vélib’ à Paris alors que nous avons déjà largement entamé la troisième saison (mise en libre service le 19 mai 2005) des Vélo’v à Lyon.

Big Lutèce a-t-elle trouvé sa voie pour une décrue des quatre roues ? L’initiative du Tourangeau Jean-Claude Decaux (aujourd’hui de ses deux fils Jean-Charles et Jean-François) devrait réjouir tout être sensé. Ce grand industriel, qui fête ses soixante-dix ans cette année, n’en est pas à sa première grande inspiration : pionnier des Abribus avec placards publicitaires qu'il avait expérimentés avec succès à Lyon, avant d’étendre la recette à plus d’une quarantaine de pays.


Aujourd’hui, sans forcer qui que ce soit, JCDecaux offre simplement un déplacement doux et rapide, sans encombre et énervement. Offrir est le vocable adéquat à Lyon : cinq euros d’abonnement annuel (contre vingt-neuf à Paris !), voilà le coût du confort urbain. Sans doute quelques défauts émaillent le tableau : ainsi le retour de soirée avec l’impossibilité de dénicher une borne libre pour restituer sa monture chaînée ; idem pour certains départs qui se heurtent à des stations Vélo’v vides (Vélo'vides en abrégé) ou ne proposant plus qu’un vélo hors d’usage.

N’ayant jamais passé le permis de conduire par choix, je n’ai désormais quasiment plus besoin des transports en commun. Entre marche à pied et vélocipède, chacun de mes déplacements n’émet que quelques millilitres de saine sueur.


Evidemment, JCDecaux n’est pas un philanthrope désintéressé, mais sa négociation commerciale avec les mairies engagées a finalement facilité une quasi gratuité : encore mieux que les traditionnels services publics de transport pour les habitants valides et un chouia courageux. Au terme d’un contrat signé pour treize ans, le groupe industriel bénéficie de quelques centaines de supports publicitaires en ville, s’engageant en contrepartie à mettre à disposition et à entretenir un parc de vélos. Le capitalisme revêt ici les atours les plus séduisants pour le citoyen. Et pourtant…

Pourtant quelques individus non identifiés trouvent sans doute à y redire et prennent un abject plaisir à la destruction : chambres à air sorties des pneus et découpées, chaînes dégradées ou subtilisées, selles volées, pneus crevés, pièces diverses cassées, et même Vélo’v coupé en deux au niveau du tube central (vu dans le quartier La Guillotière) ! Voilà ce qu’on rencontre quotidiennement aux stations d’arrêt. Ne doutons pas un instant que d’autres vandales séviront (ou sévissent déjà) à Paris.


Pas nouveau, bien sûr, comme pratique : la dégradation du mobilier urbain a toujours excité des traîneurs de médiocres existences, mais ne jamais stigmatiser ces actes dégénérés revient à les accepter comme une part nécessaire de la vie en collectivité.

Ne doit-on pas dénoncer de temps en temps, sans en faire non plus un cataclysme, cette minorité agissante pour le mal commun qui conchie en permanence le contrat social et incline, au final, les électeurs à porter du sécuritaire au pouvoir ? Alors oui, pour une fois, le petit bout de la lorgnette doit mobiliser notre indignation. Ces petites crapules du quotidien, incapables d’un début de conscience du fonctionnement serein d’une société, s’adonnent au facile défoulement du « tous-responsables-sauf-moi ».


A la traîne de ces déviances destructrices, tous les comportements anodins à l’unité, mais qui participent à ce pernicieux principe de profiter sans se sentir redevable d’un quelconque respect envers les systèmes et biens communs. Nul besoin d’un catalogue d’exemples, chacun identifiera la foultitude des actes concernés.

Alors comment sanctionner ces vandales urbains ? Les prisons débordent et l’insolvabilité de la plupart des petites frappes rend vaines toutes représailles financières. Ne faudrait-il pas s’en prendre à leur psychologie primaire en leur imposant une humiliation publique ? Un coin des Etats-Unis oblige les petits délinquants à porter un écriteau sur la voie publique qui mentionne leurs méfaits… J’entends déjà sourdre les protestations des pseudo humanistes effarouchés ou des anti américains primaires. 

Face à l’impasse de notre panel répressif, il conviendrait peut-être d’expérimenter autre chose. Se contenter de protester en jugeant inconcevable une telle évolution de la sanction revient à un immobilisme de complaisance.

Je ne prétends à aucune vérité révélée, mais je ne m’interdis aucune piste de réflexion lorsqu’une société laisse perdurer ces géniteurs du moins bien, du plus laid, du moindre fonctionnement, du pire en extension. Exit les foireux dérisoires qui encombrent nos lieux de vie !



Cet article est également paru sur Agoravox
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