08 février 2009

Les coups de la crise

Signe, pour l’anecdote révélatrice, de la dépression économique en forme de débâcle humaine : la fonte vertigineuse des recettes publicitaires de la première chaîne de télévision.

Là où la volonté présidentielle a débarrassé les chaînes publiques des scories commerciales aux pointes d’audience, la crise nettoie les programmes de TF1 des longues et indigestes coupures publicitaires. Si report de la manne du public vers le privé il y a eu, le marasme mondial a désintégré son contenu.


Ainsi, la flopée de séries américaines qui permettent de réviser les quatre coins des USA et la palette infinie des salauderies humaines : je les purge des séquences dont on les a truffées, grâce à l’efficace DVD-enregistreur-nettoyeur, pour que ma BB puisse les visionner dans un total confort, sans la répétitive pause-pipi qu’imposent les bruyantes réclames, même en l’absence d’incontinence.



En septembre 2008, j’avais encore fréquemment de gros morceaux de sept à huit minutes, bien polluants mais détectables à tous les coups par le défilé des chapitres de six minutes. 2009 ne laisse poindre que des tranches de pub
efflanquées, parfois d’à peine deux minutes qui se perdent au beau milieu des épisodes comme une saucisse William Saurin dans une bassine de topinambours. La crise impose ses changements de comportement : fini la rythmique des chapitres pour retrouver les plages de publicité, bonjour l’accélération fastidieuse des images…


Finalement, les adeptes de la décroissance vont avoir l’occasion d’observer la réalisation brutale, par la contraction de la production, de leurs aspirations. Pas sûr que les dizaines de millions d’individus qui auront perdu leur emploi au cours de cette période en deviennent de fervents partisans. A moins qu’on les leurre, ici et là, en leur vantant un anti-capitalisme primaire dont on ne comprend toujours pas la teneur du projet concret et viable qu’il recouvre.


Et sinon ? Je n’achète toujours pas d’actions, encore moins de produits financiers, je ne conduis décidément pas et je reste sur mes gardes lorsque je croise un congénère…


Le volontarisme politique n’empêchera pas l’instinct prétendument salvateur du nationalisme social. La mondialisation est morte ? Vive la relocalisation avec purin bien de chez nous coincé au creux des godasses ! Rigolade, sinistre farce pour tenter de contrer le sauve-qui-peut en marche. Les pauvres, les miséreux, les laissés sur la berge comprendront bientôt que les riches, les très riches n’ont pas de plus raisonnable comportement qu’eux lorsque la gabegie menace.


Quoi que puisse proposer, d’applicable, les dirigeants en place, les mécontentements croîtront. Ce qu’il faut avant tout éviter c’est le dérapage, aux sources multiples possibles, qui justifierait la voie barbare, laquelle se déchaînerait d’abord contre ceux qui apparaissent comme privilégiés ou protégés dans leur emploi, par nature public pour ces derniers. Le paradoxe ? Les fonctionnaires formaient encore très largement le gros des cohortes revendicatives des dernières manifestations en France.


Le premier poste de dépenses de l’Etat reste, de très loin, le paiement de la
fonction publique. Toute politique d’aide aux plus exposés à la crise, les salariés du secteur privé, ne peut se financer qu’en réduisant, grâce à l’opportunité du papy-boom, les effectifs du public. Le reste, c’est du bruyant folklore d’un autre temps, celui où les caisses de l’Etat pouvaient encore supporter l’accroissement de son personnel.


Pour l’instant, le rapport de force se cristallise entre une partie de la population, via les syndicats, et un Etat perçu comme l’unique solution, un centralisme de crise en somme. Espérons que cela ne se déporte pas entre catégories de populations, quel que soit le critère de scission violente retenu.

01 février 2009

Du coup de pouce au doigt… bancaire

Rappelez-vous le poupouce sympathique de la Société générale : une aide à s’installer, à entreprendre et à s’épanouir dans une vie tout en pastels harmonieux. Belle vitrine pour inciter à la consommation par de gentils prêts.


L’acte premier s’ouvrait sur l’adorable monde des Bisounours financiers : « Je te prête, tu me payes… tu ne payes plus, je te relance, je te balance ! ». Les poupouces américains ont ainsi soutenu vaillamment, ardemment, sur l’impulsion des pouvoirs publics d’alors – une nation de propriétaires à tout prix, ça ne vous rappelle rien ? – quelques millions de personnes aux revenus modestes ou inexistants, avant de les faire expulser. La tragédie du pauvre trop crédule ? L’affaire Madoff a démontré magistralement que la voracité naïve imprègne aussi des gens de la Haute.


Acte deuxième : la Société générale communique sur l’abominable trader abuseur de confiance, îlot de perversité dans un océan de vertus tranquilles. Gare ! Le tapis gondolait un peu trop pour parvenir à dissimuler toutes les pourritures financières que son personnel expérimenté, au faîte de l’art spéculatif, s’était vu refiler par la voie de brenneuses arcanes.


En outre, on commence à découvrir la réalité des responsabilités dans l’affaire Kerviel. Une Mission impossible de la culbute financière : « utilisez tous les moyens possibles, jusqu’à l’illégalité, pour multiplier la mise, mais nous nierons toute connaissance de vos agissements en cas de découverte. Ce poupouce s’autodétruira dans cinq secondes… » 


Finalement, le conte de la Générale est limpide comme un Perrault : goinfrez-vous tant que vous pourrez, jusqu’à l’écœurement de vous-même, abusez des règles, rapaces, et fientez sur le contrat social pourvu qu’avec un large sourire vous affirmiez : « C’est pour mieux vous aider, mon épargnant ! »


Troisième acte, le plus sordide. La figure du Banquier, que j’ai si souvent brocardée dans mon Journal, est devenue le punching-ball idéal pour exacerber ses ressentiments.


Ce qui fait enrager, c’est l’impossibilité d’une suite naturelle pour les fautes graves de gestion, à savoir la mise en liquidation, sous peine de provoquer une implosion en chaîne du système. Voilà donc des entités commerciales qui usent et abusent des règles du capitalisme, mais qui ne peuvent en aucun cas se voir infliger une quelconque sanction. Le pompon : quelques dirigeants de ces établissements financiers doivent se faire tirer l’oreille par l’exécutif pour se résoudre, en rechignant, à ne pas toucher les primes et autres parachutes dorés.


De là à lancer le bon pôple étriper ou décapiter quelques gros lards à cigare et à lunettes, comme Plantu les stigmatise, il n’y a plus que l’épaisseur d’un euro. Nos caricaturistes du XXIe siècle ont tout de même abandonné, pour représenter ces indécents hommes d’argent, le nez crochu qui tombe dans la bouche. Un progrès notable de ne retenir que la fonction sans l’associer à une catégorie ethnico-religieuse…


Chacun attend, redoute, espère, selon sa posture face à la crise, l’explosion sociale, le déchaînement révolutionnaire avec quelques barbaries justifiées comme purgatives…


Ce qui irrite, dans l’ambiance colportée, c’est le leurre d’une prime à la vertu pour les modestes, les planqués, les revanchards échoués. La résonance du discours contre les salopards qui réussissent incite à occulter les crasses des ternes citoyens, mais la petite musique sonne bien, alors les médias la relaient sans jamais égratigner la France d’en bas.