11 octobre 2008

Brêle ce monde !

Regarde bien petit, comme il se courbe ce plat pays : un tango funèbre pour désespérés à qui l’on retirerait le dernier repas. On n’oublie rien de la quête première, celle que l’enfance nous a fait sublimer… mais l’éclusier des espoirs déçus doit faire passer le bon dieu de temps qui nous attrape à la gorge : au suivant !


Je ne sais pas
ce que les jardins du casino boursier nous réservent comme pourritures dissimulées, mais l’indignation ne me quitte pas. Quand on a que l’amour de la culbute financière, rien n’a prise que l’obsession de se refaire… L’âge idiot de l’humanité est ainsi consacré, mais ni plus ni moins que pour ceux qui s’acharnent à jouer au Loto. A chacun sa bourse ! Ces gens-là, des vieux bourgeois qui ne veulent surtout rien perdre, aux sanguins excités prêts à en découdre pour enterrer le système, sont-ils si différents ?

Hier, alors que la ville s’endormait, Lugdunum où il fait si bon vivre, je songeais aux paumés du petit matin, ceux à qui la vie n’a pas souri : ce Jef du bas-côté, cette Mathilde aux yeux humides et gonflés, ce Jacky que l’on évite, cette Titine toujours courbée par quelques sacs trop lourds. Que valent-ils au fond d’eux-mêmes ? Doit-on davantage les considérer que les gâtés fils de bourgeois ou les artificielles marquises de la haute, celles qui s’enivrent d’une valse à mille temps ? A méditer sans flancher, juste en attendant de vieillir.

Allez ! Lâchons-nous, que ça explose d’Amsterdam à Knokke-le-Zoute, de Bruxelles à l’île des bigotes, la la la ! en ultime hommage à ce monde moribond. Que la chanson des vieux amants cesse, celle de cet obscur Fernand et de sa Marieke perdus au fin fond de Vesouls, comme ensevelis sous les remparts de Varsovie.

Pourquoi s’en faire ? La purge s’accomplit, les rôles changent, simplement : le lion nouveau bouffera les biches fraîchement reconverties, au grand dam des nouveaux Jaurès. Ainsi s’entretient la parlote médiatique : chacun s’en approche à jeun pour s’en repaître sans retenue. Bulle financière qui nous écrase et libère le gaz délétère.
Alors que Jojo se demande comment tuer l’amant de sa femme Madeleine l’Ostendaise, ses maîtresses Zangra, Rosa et même la Fanette se disputent le bonhomme.

De l’un à l’autre, le même système détraqué qui fait de l’information une manipulation et des relations humaines un marigot. Pour oublier ces pitreries, faut-il viser les cieux via les aériens prénoms de Paris, les encombrés Roissy et Orly ? Avant le départ, cela vaudrait une gueulante truculente à la Brel, un emportement salutaire comme il les ciselait contre les Flamandes et les Flamingants.

Peut-être vaut-il mieux se contenter d’une simple mélodie, une chanson sans paroles qui nous épargne quelque idéologie d’un caporal casse pompons de l’économie.

Où se nichent les cœurs tendres, l’émotion dense de voir un ami pleurer, les bonbons de mon enfance? Les timides retours vers soi offrent à chaque fois des sources régénérantes, comme la bière fraîche à la fin d’une journée de plomb qui nous fait presque nous réincarner : « je suis un soir d’été ».

Quand on a été élevé comme moi, dans la tradition réfractaire, fustiger les bœufs navrants comme les toros imbus ne doit pas empêcher de suspendre de temps à autre ses foudres et d’enjamber les fenêtres, tel un enfant gentiment chenapan.

Rejoindre les filles et les chiens qui se roulent dans l’herbe fraîche, suivre les bergers le long des tracés de transhumance, caresser le cheval rencontré au hasard, suivre dans son intense immobilité la statue sans attaches et se porter en pensées vers ma grand-mère que j’aimais : la princesse disparue de Fontès.

Alors juste un instant, je laisse revenir mes jeunes années et j’imagine que mon père disait : « quand maman reviendra, plus rien ne nous arrivera… » La sienne, la mienne ? Peu importe… C’est Brel qui nous le souffle.