17 août 2010

Viser la tête !

Vingt ans d’écriture, depuis la Guerre du Golfe. Extraits d' "Abécédaire d'un pamphlétaire au fil du temps"  (l'intégralité se trouve ici) :

A comme Amants enlacés, tableau de Klimt
Phagocytose plus ou moins digérée de deux humanoïdes en rut. (1996)

B comme Betancourt (Ingrid)
Otage héroïque dont l’entendement a vite décliné après sa libération. Dès qu’on lui présentait l’acronyme F.A.R.C., elle s’écriait : « Flouze A Réclamer Comptant ! ». (2010)

C comme Camarde (La)
A l’enterrement de Gide, et notamment lors de la vue du corps, Paul Léautaud ne peut retenir ses larmes : sincère chagrin pour la disparition de son confrère d’écriture ou conscience accentuée du temps qui passe et de sa fin prochaine ? Le temps des moissons de la Camarde dans nos contrées affectives doit être particulièrement angoissant lorsque notre moment d’être fauché s’approche. Je pressens ce que seront ces années canoniques, si j’y parviens : les remontées nostalgiques, les regrets de l’irréalisé, le sentiment de ne pas avoir embrassé à plein chaque seconde et, peut-être, la sérénité de s’inscrire dans une histoire collective, au-delà de soi. (2002)

D comme De Gaulle (Charles)
Général ayant connu des débuts difficiles, notamment par une difficulté extrême à se faire entendre des Français : quatre terribles années pour son Appel et douze ans pour son discours de Bayeux. Lui, au contraire, a parfaitement compris les démons de son peuple : une épuration, mais pas trop longtemps, une décolonisation, mais pas trop vite, la chienlit, non ! Le gaulliste demeure encore aujourd’hui le déguisement préféré de nos politiques. (2010)

E comme Elephant Man
L'œil gauche tendance flou, l'écoulement purulent pointe au coin de la prunelle ; je laisse remonter, comme de petits vomissements mentaux, les vapeurs d'Elephant Man. Mes tendances comportementales, sous une carapace à peu près potable, m’assimilent davantage, le temps s'égrenant, au monstre éperdu. Ma face cachée se crispe en terrifiante déliquescence. (1994)

F comme Fesses de femme
Au creux grisant de leur courbure, je goûte au ferme rebondi dont la nature les a dotées. Charnues, oui, nous pouvons l’inscrire. Certes, elles ne m’ont pas encore accueilli jusqu’au tréfonds de leur embouchure, mais j’y parviendrai par l’alliance de la douceur et de la détermination.
La teinte nacrée, la texture de soie chaude, elles ont la discrétion des vierges contrées et la complicité d’adolescentes assoiffées.
J’y exerce mes sens exacerbés jusqu'à l’heureuse perdition : je les mire dans leur frémissement, je les sens brûlantes sous mes phalanges, j’ois leur enchanteur ballottement, j’inspire la fragrance de la raie en ébullition et je reprends des saveurs de leur fraîche rose des vents...
Oui, je l’avoue, je les aime ! (1996)

G comme Gassman (Vittorio)
Emporté par la Parque, il a déjà son éternité assurée dans le patrimoine cinématographique mondial. Toutes ces figures incarnées, une capacité à l’excellence multiforme, deux chefs-d’œuvre me reviennent comme des joyaux : une comédie où il virevolte dans la peau tannée d’un démon déjanté ; dans la teinte dramatique, ce personnage schizophrène entre le mari exemplaire, posé, brillant, de Catherine Deneuve, et l’autre, le fou à la pastèque que l’on cache au grenier et que le neveu découvre dans l’œil de bœuf. Vision saisissante du malade qui tire la langue et se repaît du gros fruit juteux. (2000)

H comme Habache (L’affaire)
Nouvelle embrouille dans l'Etat socialiste. Georges Habache, leader terroriste du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) est accueilli sur le sol français pour se faire soigner les boyaux de la tête. Version officielle : décision prise par quelques hauts fonctionnaires sur la demande expresse de Georgina Dufoix ; aucun des ministres n'était au courant. La presse, toute excitée, graisse ses caractères, l'opposition charge ses canons, le parti socialiste tortille du fondement, et l'Etat saigne ses lampistes.
La France vient encore de tendre son cul à la scène internationale et de recevoir sa dose en plein dans le mille. Ni première, ni dernière fois. L’inconséquence des hautes instances politiques n'est certes pas nouvelle, mais l'accélération du processus de déliquescence des mécanismes de l'Etat prend un tour inquiétant. (1992)

I comme Internet
Incite à la débauche : bien plus facile de se connecter à un site pornographique (vu ce soir Kaléidoscope qui rassemble des photos dénudées de célébrités francophones (Adjani, Kaprisky, Caroline du Juste Prix, etc.) et étrangères (Demi Moore, différents mannequins…) qu’à un site culturel comme Gallica. Si les photos des stars et vedettes féminines apparaissent assez facilement, l’introduction aux Essais de Montaigne, dans son édition originale, peine à se dévoiler sur l’écran. La numérisation des pages (quinze millions disponibles d’après l’accroche) favorise une rapidité d’exécution mais alourdit considérablement le transfert puisqu’elle fait de textes des images. Résultat : après trois pages demandées successivement (comprenant la couverture et la page de titre), l’ordinateur m’a informé d’un souci technique. Impossible d’aller plus en avant dans Michel de la Montagne. Dépité, je suis retourné renifler les monts mammaires et de Vénus des Béart, Cachou, Winter and Cie.
Voilà comment on fait des obsédés ! (2000)

J comme journalistes
La belle bête Tapie aurait-elle rendu l'âme ? Ce n’est évidemment pas un enfant de chœur aux dentelles catholiques, mais je suis instinctivement porté à me mettre du côté de celui qui est exposé aux charognards médiatiques.
Quel journaliste peut s'arroger le droit de lyncher, d'écharper et d'achever l’agonisant ténébreux ? L’infection de certains milieux de la presse pourrait bien surpasser celle de l'affairiste. (1994)

K comme King (Rodney)
L'impérialisme américain, prétendument détenteur du bonheur de l'homme, en a pris un grand coup dans l'aile depuis quelques jours. Rodney King, homme de couleur s’il en est, se trouve en période de mise à l'épreuve suite à une affaire de vol à main armée. Le bougre ne trouve rien de plus sérieux que de commettre un excès de vitesse. Quatre policiers blancs, en mal de défoulement, profitent de l'occasion pour s'accorder du bon temps : en clair, du tabassage de noir désobéissant. Film amateur de la scène : les policiers se retrouvent comme accusés au tribunal devant un jury blanc et sont acquittés. Ni une ni deux, Los Angeles s'embrase depuis ses quartiers pauvres : l'émeute prend des proportions cataclysmiques. Des morts par dizaines (tuerie par balles, lynchages, incendies) des blessés par milliers, des destructions pour trois milliards de francs (cinq mille bâtiments en cendre) : les p'tits gars ont fait du bon boulot. Bush envoie marines et militaires : le calme revient progressivement. Avant de faire accroire que son pays est le nombril du Nouvel Ordre international, le président américain devrait s’intéresser aux carences éthiques qui minent son pays. (1992)

L comme Liquéfaction
Je me dépassionne de tout ce qui pouvait un chouïa justifier mon existence ou tout au moins me la faire tolérer. Ma phase de liquéfaction s’amorce... (2001)

M comme Maradona (Diego)
Dieu déchu du ballon, il fait un gros pipi bien dopé à la FIFA, histoire d'épicer un peu la ronronnante coupe du monde de football sise aux United States. Aussi doué que le coureur Ben Johnson pour la récidive, passant sans difficulté de l'herbe du terrain à de la blanche en rail, il a été définitivement remercié pour ses fulgurances à la baballe et renvoyé dans sa fumeuse Argentine. (1994)

N comme Nietzsche (Friedrich)
Refuge spirituel de taille avant de laisser mon cérébral pondre ses crottes oniriques. Quelques pages de sa Généalogie de la morale pour creuser les origines des notions du bien et du mal. A la fin de son avant-propos, le penseur allemand doute de la lisibilité de certains de ses écrits, notamment ceux constitués d’une suite d’aphorismes. Il décèle une tare de taille dans la démarche intellectuelle de chacun : l’absence de « rumination » de la pensée ingurgitée. L’aphorisme est la partie conviviale (donc émergée) de l’iceberg dont il faut reconstituer le corps pour en saisir toute l’amplitude et la profondeur. Zarathoustra reste ainsi dans l’ombre pour ses neuf dixièmes. (2001)

O comme Opacité financière
Intervention sans panache du Premier ministre luxembourgeois, celui que d’aucuns voyaient comme possible premier président de l’UE. Juncker vient de carboniser son éventuelle légitimité à ce poste futur, si le fonctionnement institutionnel change un jour.
Sa défense de l’opacité financière de son bout de territoire confine à l’indécence technocratique en ces temps de chaos boursier. Sans doute qu’il peut se permettre la condescendance offusquée puisque l’argent sale, accueilli dans les officines bancaires, dispensera le Luxembourg de toute perdition à l’Islandaise.
Il n’empêche. La France doit-elle perpétuer cette complaisance à l’égard de ses petits voisins (Suisse, Monaco, Luxembourg) ou doit-elle exiger un coup d’arrêt du secret bancaire comme principe et, en cas de refus, rompre tous les accords bilatéraux ? (2008)

P comme Passion amoureuse
Plus belle que jamais dans une petite robe noire à hurler (comme le loup de Tex Avery), toujours aussi fofolle et agréable. Je ne peux expliquer combien sa présence est une extase de tous les instants, elle m’enchante par sa fraîche vivacité, elle m’enivre par sa féminité transpirante. Je voudrais pouvoir ne jamais la quitter un instant, profiter à mille pour cent de chaque moment en sa compagnie. Son effet sur moi ne tarde jamais : le misanthrope renfrogné devient joyeux, festif, drôle voire délirant. Et je la fais rire, ce qui me ravit chaque fois. Si j’avais pu être lié à elle par le sang, par les sentiments réciproques, mon état d’esprit, mon rapport au monde en eurent été bouleversés. Mais, comme souvent, je demeurerai sur la berge. (2000)

Q comme Quête religieuse
Vénalité exercée sous l’emprise de la honte. (2010)

R comme Rabelais
Rabelais, renais ! ils amplifient leur folie : progrès technique sans éthique mine l’âme… (2009)

S comme Soleil
Petit film scientifique sur les secrets du soleil. Magnifique découverte de l’histoire de cette quête de connaissance sur l’astre. Une mise en perspective du colosse en fusion-ébullition qui relativise tout le reste. A ces échelles, l’histoire de la terre, n’abaissons même pas l’angle à l’humaine, n’est qu’un épiphénomène. Quelle beauté saisissante que ces éruptions solaires, ces tempêtes magnétiques, ces forces incommensurables qui se déchaînent. De ce chaos, toujours recommencé, les neutrinos en nombre astronomique permettent la vie.
Une grande leçon de modestie, d’humilité lorsqu’on songe à la fragilité inouïe de notre système solaire et à l’ordonnancement du tout. Si l’humanité avait un tant soit peu l’objectif de perdurer sur une durée infinie, elle devrait s’exiler d’ici un à deux milliards d’années dans un autre système, le nôtre étant voué, après la fin en forme d’apogée du soleil, à devenir une naine blanche. Certes les durées avancées sont hors de l’échelle humaine, et semblent absurdes à évoquer. Il convient au moins de le savoir, ce qui fait la caractéristique de notre condition. Impossible maîtrise, mais conscience du tout. (2000)

T comme Techno (La)
Musique hormonale par excellence, elle provoque des trépidations corporelles. Les décibels flirtent avec les sommets, au point de contraindre le cœur à tressauter au rythme de la mélodie en cours.
Etuve chauffée du jeune monde en transes : on imagine aisément le plaisir paroxystique de l'allumé psychotique déterminé au massacre à la Rwandaise. Les flashes blancs découvriraient quelques viscères au rouge. De la mélodie organique pour fêlé du ciboulot. (1994)

U comme Ubiquité stellaire
Le Bring on the night de Sting sur scène, avec un virtuose des blanches et noires, vous envoie vers l’ubiquité stellaire, des ondes musicales comme un voyage à la vitesse des sens, tous azimuts, sans limite, inénarrable décollage vers les cimes de l’impro, chef d’œuvre incarné des élancements rythmés. (2008)

V comme Vengeance
Ce matin, dans la pommeraie, nous découvrons la piscine éventrée par des branleurs de seconde zone. La rage nous prend au ventre. Des envies d'os brisés et de gueules en sang montent en nous. Nos tripes sont incandescentes.
La sanction sera plus subtile. Après repérage de l'ouverture par laquelle ils se sont glissés, nous la truffons de tessons de bouteilles pour honorer leur prochaine visite. Si intention récidiviste il y a, les chairs tailladées rabougriront ces piètres merdeux. (1991)

W comme Webunivers
Internet ne fait qu’amplifier les divergences, chacun propageant sa conception sur la toile sans jamais s’essayer à comprendre l’ennemi déclaré. Triste farce du « village planétaire », oxymore idyllique que la seule évolution des communications et du transport ne pouvait réaliser. Quoique, si ! bien sûr, c’est un dangereux Clochemerle avec six milliard de villageois qu’ont enfanté les déplacements frénétiques et le webunivers. (2009)

X comme XXIe siècle
Dernières heures de cette année 2001 qui ne nous aura pas offert l’Odyssée de l’espace, mais les abysses barbares. Si on la retient comme l’année d’entrée dans le XXIe siècle avec, pour une fois, conjonction entre la logique numérologique et les aléas historiques, elle se hisse aussi comme parangon des penchants les plus primaires de l’être humain. Pauvre monde englué pour longtemps encore dans ses travers toujours recommencés. La gorgone à deux têtes Bush-Laden n’obéit qu’à deux motivations : dominer et posséder. Du classique depuis les grottes cromagnonnes ! (30 décembre)

Y comme Yougoslavie
Le potage yougoslave m'indiffère totalement. Le scénario ne bouscule pas trop mes tripes. Je n'essaye même pas de retenir les noms barbares des hordes ennemies : aucun Saddam Hussein ne vient, flamboyant, éclairer le sinistre tableau. Les militaires onusiens avaient été priés, par un petit chef perdu, de n'intervenir, avec toute la fermeté d'un bleu, que lorsque les parties ennemies ne se tireraient plus dessus. Sir Fanfan Mité est venu, poitrine tombante en avant, tel un condottière sur son hélico, libérer des forces maléfiques et des mauvais courants l'aéroport de Sarajevo. Rien à faire : ça me fait toujours bâiller. (1992)

Z comme Z.I.
Passage par les zones insalubres d'Aubervilliers : errance des passants, laideur des bâtiments, grisaille générale qui se répand comme une sale peste. (1991)