A gauche toute, vers cette suite tirée au cordeau de bâtisses hétéroclites. Vise cette cacophonie des formes et des couleurs : du bleu criard, du marron suspect, la désarticulation comme signature, la disharmonie comique à l’arrivée. Tiens, le plus foncé, de trois quarts, on dirait un Wall-e géant qu’on aurait enchaîné loin de sa dulcinée : il est vraiment marron, là, le petit robot sensible. Par temps sinistre, le rictus de cet ensemble aux arêtes désordonnées pourrait effrayer ses hôtes, non ?
Frileux ! Enfin de
l’architecture polysémique qui assume la diversité des apparences. Ces volumes
à vivre affûtent le regard par une variété dans un alignement sans fausse note.
Des teintes qui accrochent, des figures géométriques qui favorisent la
singularité des espaces : une rupture salutaire avec l’urbanisme
plan-plan.
Sublimer à tout prix, le
Lyonnais s’affirme presque chauvin… Allons plus loin. Comble de la frime auto
proclamée avant-gardiste : un extérieur béton brut avec ouvertures affublées
de bois plus ou moins massif. Du déjà-vu, mais pour des motifs bassement
économiques : on ne peindra pas les murs de notre nouvelle demeure, j’ai
explosé mon budget ! C’est aussi la
tendance de la plupart des parkings, nul besoin d’un copiage en plein air.
C’en est trop pour mon
cortex. Je vais m’abreuver au point d’eau le plus proche : une étendue
glauque qui se voudrait sauvage. Au détour d’une rue, l’effet est
immédiat : l’immeuble se désarticule. Tellement sûr de son art que l’archi
constructeur impose ce bloc qui intrigue, amuse, désappointe, attriste puis
révulse. Juste du cynisme qui se fout des habitants. Lorsque l’art chie,
l’esthétisme trépasse.
Nenni ! Osons renouveler
les codes : l’inattendu décalage invite à lever la tête et s’inscrit dans
un ensemble inventif. Un écart avec les règles et la vie s’épice.
Vraiment ? Je me leurre…
Passons le petit pont du port calme, presque dormitif, pour se rapprocher du centre
commercial ouvert à tous les vents où se cumulent les mêmes enseignes
qu’ailleurs. Temple des achats, comme au bon vieux temps du Vingtième. Rien de
nouveau sous la bâtisse.
Peut-être, mais la coque aérienne
du complexe dégourdit le regard qui s’élance vers les lignes de fuite. Les allées
préservées de la foultitude ne contraignent pas à l’acquisition compulsive de biens,
elles s’offrent aussi pour le vagabondage serein. Ça rime, un signe d’harmonie,
non ?
Quel scrogneugneu ! L’orange est un cube dentelé avec, en un coin, l’appel d’air salvateur. Oui, ce bâtiment existe, vit même sous nos yeux. Laissons les grincheux se dessécher et goûtons ce fruit juteux aux saveurs soulignées par une Sucrière préservée, témoignage d’une folle époque, d’une activité pesante : de l’authentique pour accueillir les créateurs en quête sincère.
Assez ! J’ai l’esprit en
friche, je dois me poser : le café Docks 40 fera l’affaire. Une fraîche boisson
à quelques mètres de l’affluent qui galope dans son lit : les véhicules de
l’autre rive semblent remonter le courant en trombe. Rouille et vert-de-gris
surplombent la verte pelouse synthétique : planer entre deux consistances
pour tutoyer la synthèse. L’ivresse réversible de la découverte, des ressentis
en chantier, des paradoxes qui submergent : que les eaux de la Saône et du
Rhône se rencontrent, se mélangent et s’écoulent jusqu’au delta, miroir
méditerranéen de notre Confluence, avant l’épanouissement maritime.
(Photos prises par Loïc Decrauze)