Dimanche, une partie du
voyage de Lyon à la région nantaise se déroule sur la mythique Nationale 7
administrativement reléguée au rang de départementale, mais qu’une plaque
Michelin, oubliée sur une maisonnée, ressuscite.
Tes courbes enchanteresses
m’inspirent, tes senteurs alentour comblent mes gourmandises olfactives, le
calme apparent de tes bourgades apaise mes poussées misanthropiques, comme une
caresse bénéfique, ma France, lorsque je te traverse. Ce temps précieux passé à
m’émerveiller de tes contrées m’a enrichi comme aucune autre fréquentation.
Août 1992, premier vrai
voyage en duo amoureux dans la région d’une ville natale jamais habitée :
ses châteaux irisent les terres d’un passé tourmenté mais glorieux. S’imprégner
des puissances locales pour fortifier sa trajectoire, comme une initiation aux
ambivalences de l’existence. La sombre année suivante trouve son ancrage
symbolique lors d’un passage furtif au Grand Hôtel de Cabourg au moment même où
Bérégovoy met fin à sa vie, trop tard pour lui un changement de trajectoire,
moi je le pouvais encore, à 24 ans, mais avant il fallait assumer. Un coin de
France, refuge éphémère, avant le chaos supporté depuis Big Lutèce.
Cette capitale, siège de mes
études sorbonnardes et de mon Purgatoire, je la quitte en 1998 sans regret pour
la bien dimensionnée Lugdunum, et je la retrouve comme touriste avec ma belle,
notamment en juin 2003 pour une joyeuse tournée des cimetières de nos célébrités,
façon d’enterrer ce pan parisien.
De l’estival pour
s’affranchir des pesanteurs quotidiennes, de la détente, du vacancier pur jus,
je les vis sur l’île de Ré en juillet 1996, invité par la romancière
Chapsal : transparence de l’air, espace des bords d’océan qu’on rejoint en
flânant sur deux roues discrètes. J’intensifierai le dépaysement en août 2003
dans cette Corse française, convié par mon Pôpa à découvrir ses beautés et ses
incendies, dont un juste au-dessus de notre gîte. Le bonheur n’était pas très
loin, mais s’incarnera en Gers et en Auch pour une tournée gourmande avec ma
dulcinée à l’été 2008 : sens comblés sans surcharge humaine.
Passage adoré pour une
parcelle de chaque saison chaude, Fontès, village languedocien et lieu
d’ancrage de la branche maternelle. Combien se concentrent en mémoire les
milliers d’instants partagés : du terreau d’existence pour se régénérer.
Ces lieux et places de ma
France, sans compter les nombreux autres privés ici d’évocation, entretiennent un
lien patriotique, magnifie l’enracinement, mais n’entravent nullement ma
profonde aspiration européenne en cette période de choix crucial : le
retour aux souverainetés purement nationales, ballottées par les contraintes extérieures,
ou le saut vers un fédéralisme européen respectueux des singularités de chacun pour
une entité politique première puissance économique mondiale. L’attachement à
l’hexagone devrait inciter à parachever le processus d’intégration : éviter
que ce pays s’illusionne, se dévitalise et loupe une seconde fois la marche
vers plus d’Europe. Qu’enfin le fédéralisme soit perçu comme un fortifiant de
chaque membre et non comme une dilution.
Que pèsera-t-on chacun, avec
son petit poids national, face aux mastodontes émergés en quête de leur propre
puissance ? Pour que tous ces lieux et places chéris conservent leur
charme, leur intégrité, leur pérennité : l’Union européenne, non point la trop
technique de l’après 2005, mais une fusion politique enfin à la hauteur des enjeux.
Au bord du gouffre, les politiques ont su jusqu’à présent – mais jusqu’à quand ?
– trouver les voies étroites de compromis provisoires. Il faudrait que les peuples
d’Europe, eux aussi, démontrent leur maturité digne d’un vingt-et-unième siècle
qui pourrait être européen au lieu de n’être qu’asiatique et américain. Pour que
vive la France, vive l’Europe !