Quelle perception du monde
immédiat aurait l’anonyme moyen coupé de toute actualité hors de son champ de
vie ? Sans doute serait-elle à des années-lumière des trépidations
tourmentées de la focale médiatique. L’existence sereine, évidemment
répétitive, n’a aucune similitude avec cette agitation concentrée. Accorder
trop de place à ce compte rendu permanent revient à garder le nez sur un
microscope qui résumerait la vie aux mouvements moléculaires avec chaos
apparent parce que surexposés et grossis.
De la même façon, le
défoulement des commentaires odieux sur Internet vient contraster avec l’habituelle
retenue de leurs auteurs dans la vie réelle. Le moindre fait qui trouve un écho
sur Big Media déclenche aussitôt une flopée
d’interventions que leurs auteurs n’assumeraient pas s’ils devaient les
prononcer physiquement en public. En cela, nous sommes au-delà des simples
emportements de comptoir. Il s’agit, par l’anonymat et l’espace virtuel, de ne
rien contenir de sa facette outrancière. La virulence clandestine devient la
règle et dévoie les échanges sociaux. Avant, cela oscillait entre le for
intérieur et le cercle des proches. Désormais, chacun peut publiquement s’improviser
petit pamphlétaire sous pseudonyme. Le débat s’en trouve d’autant perverti, se
colorant chaque fois de ces excès sans visage.
Le recours au pseudonyme
encourage les vociférations du hargneux planqué derrière la toile. Se promener
sous les articles du jour, avec leurs dizaines de commentaires, donne l’ampleur
de la pratique. Peut-être 1% de signatures correspondant à des personnes
identifiables. Internet devient une gigantesque boite crânienne collective dans
laquelle chacun peut découvrir la part jusqu’alors inavouable des pensées des
autres : transparence des flots orduriers, opacité des sources. Une
glasnost psychologique nullement révélatrice d’une détérioration de ce qui est
pensé : simple obscénité technique de la publication immédiate sans l’once
d’une démarche artistique, sans le début d’une revendication courageuse.
Autrement plus dramatique, la
mise à mort motivée par la mise en ligne terrorisante. Si les barbares
intégristes dégouttent d’obscurantisme dans leur conception du monde, ils maîtrisent
parfaitement les moyens modernes de communication. Là, c’est à qui usera le
plus de cette fabuleuse caisse de résonance. Les opérateurs de cet Internet, au
premier rang desquels Google, pourraient-ils aider à lutter contre ces égorgeurs ?
Ethique minimale et technique ne peuvent-ils, pour une fois, se combiner ?
Les malheureux égorgés n’émeuvent-ils pas plus les propriétaires des supports
télématiques que les traders qui achètent le pétrole à Daech pour maximaliser
leurs culbutes financières ? L’argent n’a, paraît-il, pas d’odeur, mais l’or
noir et les cadavres si, une très forte qui devraient longtemps empuantir les
narines des complices par abstention.
La liberté à tout prix ?
Quitte à laisser prospérer et parader ces assassins en bandes très organisées ?
Autant la liberté d’expression est un principe quasiment sans bornes, au
contraire de ce que voudraient nombre de religieux, autant la liberté de colporter
ses crimes doit être neutralisée. Un éditeur ouvrirait-il son catalogue à Michel
Fourniret, Guy Georges ou Francis Heaulme pour qu’il raconte en détail ses assassinats
en série ? Pas encore, en tout cas… Alors pourquoi Internet, dont chaque
parcelle virtuelle est la propriété d’une personne physique ou morale, ne
peut-il imposer un encadrement ? Je connais la réponse : pas de
frontières possibles… Si, celles du globe : une autorité mondiale avec des
moyens technico-militaires réels s’imposera peut-être lorsque nous verrons grandir
dangereusement la part de leur territoire, au point de grignoter les nôtres… En
attendant, il nous faut assister (ou pas, mais ça ne changera rien) aux parades
mortifères avec leurs sacrifices d’un autre âge. Les archaïques caverneux en
réseau immatériel : pas le moindre des paradoxes…